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mercredi, 01 mai 2013

DU CÔTE DES GENTLEMEN CAMBRIOLEURS

C’est entendu, il y a littérature et littérature. D’aucuns le contestent d’ailleurs. D’autres parlent avec une certaine condescendance de littérature et de « sous-littérature ». Moi je dis qu’il faut de tout pour faire un monde. Je ne suis pas comme ces esthètes qui ne jurent que par le quatuor à cordes, et fichent le camp avec une grimace de dégoût dès qu’ils croient entendre de l’opéra ou de la symphonie (ceci est un message personnel, mais il sait ce que j’en pense).

 

Prenez n’importe quel bouquin de Georges Simenon, Maigret ou autre. Vous l’ouvrez, vous passez un bon moment, vous le refermez, vous l’oubliez. Voilà déjà quelque chose d’acquis : un peu de « sous-littérature », ça ne peut pas faire de mal. Et ça ne vous encombre pas la mémoire. Il ne viendrait à l’esprit de personne en général, et de Fabrice Luchini en particulier, d’apprendre par cœur Les Gens d’en face (1932, la même année que Voyage au bout de la nuit), parce que l'auteur lui-même serait très étonné que son ouvrage recélât des richesses poétiques insoupçonnées. Peut-être à l'insu de son plein gré ?

 

Prenez n’importe quel Arsène Lupin, maintenant. Notez qu’on ne se réfère qu’exceptionnellement au nom de Maurice Leblanc : un cas intéressant de personnage dont le lustre éclipse la personne de celui qui l’a fabriqué.

 

J’ai dévoré tous les Arsène Lupin. Une personne proche (coucou, M. !) en détenait la totalité des volumes (reliés en toile imprimée de couvertures d’originaux)  sur une étagère de la « petite maison », première chambre à droite en haut de l’escalier.  Eh bien je vais vous dire : Arsène Lupin, ça marche. A gauche, c'était la salle de bains. Je dis ça pour ceux qui ne connaîtraient pas les lieux.

 

J'ai dévoré tous les Arsène Lupin. C’est sûr que je ne les lis plus aussi fraîchement qu’alors, parce que les ficelles m’apparaissent crûment, que le personnage du séducteur voulu par l'auteur est souvent horripilant et que les essais de psychologie auxquels il se livre sont devenus exaspérants. Mais enfin, ça coule comme une bière fraîche dans le gosier, à la terrasse du café principal d’Aiguilles une fin d’après-midi d’été au retour d'une grande bambane sur les sentiers caillouteux (« une pour la soif, une pour le goût »).

 

J’ai connu un Schotzenberger, un garçon sympathique au demeurant, qui, en dehors des traductions qu’il faisait de Sastro, un auteur espagnol, avait dépensé des trésors d’éloquence et d’argumentation, en présence de Roger Bellet, pour démolir Arsène Lupin (personnage, techniques narratives, nouvelles, romans), où il voyait de telles imperfections que tout ça ne pouvait être que raté de chez raté. Bref, on l’aura compris : il était bel et bien fasciné. Piégé. Pour un futur intello, ça la foutait mal. En fait, il voulait se racheter.

 

J’ouvre un Arsène Lupin de temps à autre. Pour me désennuyer de la lecture de Wilhelm Meister, par exemple. Je ne dirai pas que c’est le fin du fin de la jouissance littéraire. Certes. Mais quand tu es au sommet de l’Everest, tu n’aurais pas l’idée d’habiter là : il faut bien redescendre. Pareil pour le caviar : béluga, sévruga ou osciètre, tu n’aurais pas l’idée d’en faire ton petit déjeuner ordinaire. Au bout d’une semaine de ce régime, rien que l’idée de se lever te donne envie de vomir.

 

Et puis je vais vous dire, je viens de relire L’Agence Barnett et Cie, et je ne m’en porte pas plus mal. C’est déjà ça d’acquis. Je suis désolé, le match à répétition qui se joue entre Jim Barnett et le policier Béchoux me ravit. Jim Barnett est détective privé bénévole, faut-il le préciser ? Il ne se fait pas payer. Mais à la fin, allez comprendre, au nez et à la barbe de Béchoux (qui aimerait bien le coffrer), il se retrouve plus riche qu’avant, parce qu'il a réussi à barboter quelque chose au méchant de l'histoire. Béchoux est flic, j'avais oublié de le préciser. Même que Barnett s'offrira quinze jours de voyage sentimental avec Madame Béchoux. Moralité : c'est dur d'être flic.

Les Huit coups de l’horloge, ça me plaît bien aussi. Huit nouvelles mystérieuses pour les beaux yeux d'une jolie femme qui, ne voulant pas céder à Lupin sans combattre, le met au défi de résoudre autant d'énigmes. Des ordres impérieux auxquels il défère de bonne grâce, et toujours avec une grande classe.   

 

La Barre-y-va est un roman bien fait, quoi qu’un vain peuple puisseARSENE LUPIN 4.gif récriminer. C’est sûr que les cheveux de la logique se font un peu tirer : Guercin, le gendre félon de M. Montessieux, se fait flinguer sans qu’il y ait crime. Heureusement, Leblanc ne s’appesantit pas sur les détails techniques du mécanisme mis au point par le beau-père pour tuer celui qui voudrait s’approprier la source d’où coule sa poussière d’or. Le génie de Raoul d’Avenac mettra bon ordre dans l’embrouillamini, et en plus il mettra au jour le tas d'or qui datait des Romains. Il faut oser raconter ça, mais quand c'est bien fichu ... 

 

Victor de la brigade mondaine  est un roman à ficelle, bien sûr, mais qui garde un certain charme. On sait très vite que Victor est Arsène (pardon de dévoiler le poteau rose), et inversement, mais malgré les tours de passe-passe, le récit est efficace, et on avale la salade sans se poser trop de questions. On sait très vite que Bressacq n’est pas digne d'être Arsène Lupin, pour la raison simple qu’il tue (ou fait tuer), ce à quoi ne saurait descendre l’âme noble de notre gentleman cambrioleur.

 

On passera rapidement sur L’Homme à la peau de bique (pompé par-dessus l’épaule d’Edgar Poe quand il écrivait son Double assassinat rue Morgue) et sur Le Cabochon d’émeraude (pompé par-dessus l’épaule de Sigmund Freud, à cause du rôle donné à l’inconscient).

 

Moralité : on peut rester lucide sur les faiblesses, tout en prenant plaisir à suivre les voltiges et les rodomontades de ce personnage qui, qu’on le veuille ou non, reste bien installé au fond de nos imaginaires.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 30 avril 2013

FABULONS UN PEU

 

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CE N'EST PAS BIEN, DUCHESSE MARINA SEMINOVA,VOUS AVIEZ PROMIS A CORTO D'ARRÊTER DE FUMER !

***

On dira ce qu’on voudra : il y a des « classiques » qui tiennent le coup. Prenez La Fontaine. Voilà un bonhomme qu’il est intéressant. Rassurez-vous, je ne vais pas ressortir les éternelles fables qu’on fait apprendre aux petits (mais les apprennent-ils encore ?).

 

De toute façon – ce qui est d’ailleurs curieux si on y songe – les rengaines de La Fontaine, celles que les adultes croient encore connaître par cœur (on peut toujours essayer), beaucoup sont dans le livre premier des Fables : la cigale, le corbeau, la grenouille, le loup, le rat, le renard, le chêne. Si la tribu n’est pas au complet, on n’en est pas loin. J’en compte 9 qu’on ressasse à l’envi, pas moins. Des vedettes quoi, et qui font de l’ombre à bien des choses intéressantes.

 

Remarquez, je n’ai rien contre La Cigale et la Fourmi (c’est carrément la première). Mais c’est un peu comme la 40ème de Mozart, le Canon de Pachelbel, l’Adagio d’Albinoni ou Les Quatre saisons de Vivaldi (par les immarcescibles "I Musici" si possible) : au bout d’un moment, ça commence à bien faire. Que voulez-vous, c’est humain : l’habitude émousse la sensation. Enfin c’est ce qu’on dit.

 

Ce que je veux dire, c’est qu’à la façon de Radio Nostalgie, on repasse toujours les mêmes vieux airs. Des Fables de La Fontaine, on ne connaît que la partie émergée d’une masse qui mérite le détour, et même qui vaut le voyage. Rendez-vous compte qu’il y en a 240 au total. Deux cent quarante, sans compter divers compliments, adresses et flatteries à quelques notabilités du moment.

 

Personnellement, j’aime bien Les Deux Pigeons (livre IX), très connue pour son début (« Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre »). Mais ce que j'en préfère, c’est la fin : une des très rares fables où l’auteur « fend la carapace » dont il se cuirasse partout ailleurs.

« Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants

Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?

Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !

Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?

Ai-je passé le temps d’aimer ? ».

Magistral coup d’œil dans le rétroviseur, en même temps qu’inquiétude de l’avenir.

 

hugo pratt,bande dessinée,corto maltese,corto maltese en sibérie,la fontaine,fables de la fontaine,fabrice luchini,la jeune veuve,gérard manset,la vallée de la paixOn n'est pas obligé de faire un détour par la chanson de Gérard Manset (c'est dans La Vallée de la paix) : « Deux pigeons s'aimaient d'amour tendre Mais le filet peut bien se tendre Tout est gibier qu'on plumera Y a-t-il un bonheur ici-bas ? ». C'est plus du piratage qu'un hommage, dirai-je avec tout le respect que m'inspire l'art de Monsieur Manset.

 

Aujourd’hui, je voudrais en proposer une, qui n’est pas à dire vrai dans les oubliettes, mais qui gagne à être lue avec gourmandise. C’est une fable pleine de sel, d’ironie – peut-être même dotée d’une touche de misogynie, diront certains. Personnellement, je crois que son propos dépasse les femmes pour s’étendre à l’espèce humaine, à travers un de ses traits marquants : « La vie continue », comme disent tous ceux qui viennent de perdre un être cher.

 

 

XXI

LA JEUNE VEUVE

 

La perte d’un époux ne va point sans soupir.

On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.

Sur les ailes du temps, la tristesse s’envole ;

Le Temps ramène les plaisirs. Entre la veuve d’une année

Et la veuve d’une journée

La différence est grande : on ne dirait jamais

Que ce fût la même personne.

L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.

Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;

C’est toujours même note et pareil entretien :

On dit qu’on est inconsolable ;

On le dit, mais il n’en est rien,

Comme on verra par cette fable,

Ou plutôt par la vérité.

L’époux d’une jeune beauté

Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme

Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,

Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »

Le mari fait seul le voyage.

La belle avait un père, homme prudent et sage :

Il laissa le torrent couler.

A la fin, pour la consoler,

« Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :

Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?

Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.

Je ne dis pas que tout à l’heure

Une condition meilleure

Change en des noces ces transports ;

Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose

Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose

Que le défunt. – Ah ! dit-elle aussitôt,

Un cloître est l’époux qu’il me faut. »

Le père lui laissa digérer sa disgrâce.

Un mois de la sorte se passe.

L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours

Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure.

Le deuil enfin sert de parure,

En attendant d’autres atours.

Toute la bande des Amours

Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse,

Ont aussi leur tour à la fin.

On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence.

Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;

Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :

« Où donc est le jeune mari

Que vous m’avez promis ? », dit-elle.

 

 

Je ne sais pas vous, mais moi, le passage que je préfère est celui où l’épouse crie à son mari qu’elle veut mourir avec lui, et que La Fontaine conclut par : « Le mari fait seul le voyage ». Tout La Fontaine est dans ce vers brutal, sobre, efficace, exemplaire. Cette fable et ce vers, j’aimerais bien les entendre dits par Fabrice Luchini, tiens.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 29 avril 2013

UN CHEF D'OEUVRE DE LA BD

 

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DANS LA CACHETTE (ILS ONT ECHAPPE AUX POLICIERS), BLANCHE-NEIGE N'A PLUS UN POIL DE SEC

***

 

Silence est un roman, un vrai. Avec son protagoniste éponyme, ses personnages importants, les secondaires, que l’on devine tous avec des psychologies frustes, mais des histoires personnelles complexes, voire embrouillées. De vrais personnages qui existent avec force. 

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"LA MOUCHE" EST DANS LE BOCAL

 

L’action se passe dans les Ardennes (Comès est belge, évidemment, comme tous les grands de la BD). Il faut accepter d’entrer dans le jeu : il y aura de la sorcellerie, et qui marche ! Et pas besoin d’appeler à la rescousse Les mots, la mort, les sorts, le célèbre livre de Jeanne Favret-Saada, pour avoir confirmation que ça existe. On est quasiment chez les sauvages. 

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ON DIRA CE QU'ON VOUDRA : DIDIER COMÈS EST UN ARTISTE

Silence, l’idiot du village, est le valet de ferme d’Abel Mauvy, le plus gros propriétaire, sans scrupule, de Beausonge (oui, le nom, bof !), à qui nul n’oserait s’en prendre. Silence est muet et simple d’esprit, tout juste écrit-il quelques mots sur une ardoise. Mais comme tel, il est proche des forces premières (les vipères, par exemple), dont l’esprit circule dans l’atmosphère. 

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LA SORCIERE FAIT LE PREMIER PAS (SI ON PEUT APPELER ÇA UN PAS)

Les autres personnages sont le Toine, un paysan voisin de Mauvy ; La Mouche, vaguement sorcier, mais qui aura à faire à trop forte partie pour ses petits pouvoirs ; Julio, le directeur de cirque ; Zelda, la naine qui fait montreuse de serpents dans le même cirque, et dont Julio est amoureux (en vain). 

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L'ANTRE DE LA SORCIERE

Et puis il y a « La Sorcière » qui, entre parenthèses, en dehors d’avoir un beau cul, mérite bien son surnom, et qui veut se venger des gens de Beausonge, pour des raisons anciennes, entre autres parce qu’ils lui ont autrefois crevé les yeux. Mais ils ne savent pas qu’elle n’a pas besoin d’yeux pour « voir ». Enfin il y a Blanche-Neige ! C’est un nain, vaguement bandit, que Silence découvre dans la prison où on l’envoie. Un personnage improbable et formidable.

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LES DEUX COMPAGNONS DE CELLULE

Car on envoie Silence l'innocent en taule pour le meurtre de la « Sorcière », que l’immonde Mauvy a commis en le faisant accuser. Silence n’avait bien sûr aucune raison de tuer la sorcière, car « Silence è genti ». C’est vrai que Mauvy a raison de se méfier de la sorcière. Il le sait, c’est d’ailleurs pour ça qu’il fait appel à La Mouche, qui concocte pour lui un crapaud spécial qui doit achever cette femme qui veut sa mort. Malheureusement pour lui, grâce à Silence, elle en réchappe.

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LE SORT JETÉ PAR "LA MOUCHE" A BIEN FAILLI REUSSIR

Elle se venge d’abord de La Mouche, qui finit suspendu par le cou à une corde pour s’être cru victime d’une attaque massive d’araignées. Puis elle fait mourir des vaches, elle fait brûler des granges, elle rend malade le Toine. Le curé et le médecin s’avouent impuissants. Et puis, quand elle veut faire mourir Abel Mauvy, Silence jette au feu l’œuf ensorcelé, car « Silence è genti ». 

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"LE MAGE" EN PLEINE ACTION DE MEDIUM

En prison, Silence rencontre les fous : c’est une prison-asile. Un soir, l’un d’eux est pris d’une transe divinatoire et, avec la voix de la sorcière, lui révèle le moyen de découvrir toute la vérité : en respirant la fumée de certains champignons, grâce à quoi il devient extralucide. Le nain, copain de Julio et de Zelda, s’évade de l’asile une nuit de Noël, mais en compagnie de Silence, pour lequel il s’est pris d’affection. 

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C'EST ABEL MAUVY, LE MECHANT, QUI EST DU MAUVAIS CÔTÉ DU FLINGUE

Mais juste au moment d’accomplir la vengeance contre Abel Mauvy, Silence redevient « genti » (l’effet des champignons est dissipé). Tout ça finit mal, évidemment, à coups de destin et de fatalité (il paraît que ce n’est pas pareil). Qu’on se rassure, le méchant est puni. Qu’il se prénomme Abel, pourquoi pas ? Qu’il se nomme Mauvy est plus en accord, car c’est lui qui incarne le Mal, dans cette histoire.Au total, un vrai roman, je vous dis. Et servi par le trait d’une sorte de génie de la chose.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 18 avril 2013

ET PUIS NON ! ... FRED N'EST PAS MORT ! ...

 

NON TCHANG N'EST PAS MORT.jpg

MERCI, HERGÉ, DE ME PRÊTER CETTE IMAGE POUR LA CIRCONSTANCE

***

Tewfik Hakem avait interviewé Fred pour une émission diffusée en 2011. Il a rediffusé dernièrement l’entretien dans son émission de 6 heures du matin : Un Autre jour est possible. Cela vaut le coup, à l’occasion, d’être matinal.

 

NAUFRAGE 21.jpgCe qui apparaît, de Fred ? Un homme en toute simplicité. Son père était cordonnier, c’est vous dire, même si ça ne prouve rien. Une façon éminemment populo de parler, par exemple, de son amitié avec Jacques Dutronc : un manager lui avait demandé de faire quelques chansons pour lui. Il avait atterri dans ce milieu inconnu des studios d’enregistrement, et le contact s’était fait, facile, simple, magique. Cela a donné, évidemment, Le Fond de l’air est frais, Laïho, Laïho, mais aussi La Voiture du clair de lune.

 

Une façon aussi de renvoyer tous les intellos de la terre à leur potagerNAUFRAGE 23.jpg et à leurs légumes quintessentiels (je veux dire : desséchés). A la question bête : « Comment êtes-vous arrivé à Philémon ? », il répond : « Ben, vous savez, ça m’est venu comme ça. Je n’ai pas de projet, pas de marche à suivre. Quand je démarre, je ne sais pas ce qui va me venir sous la plume ».

 

NAUFRAGE 27.jpgBref, un pommier qui fait des pommes, et pas un intellectuel à tout découper en seize et à tout transformer en abstraction conceptuelle, pour mieux se convaincre et convaincre quelques gogos que c'est lui, et personne d'autre, qui comprend le monde dans lequel il vit (et nous avec). Pour Fred, intellectualiser était une façon de renoncer à palper le vrai et le jouissif de l'existence. Dans le monde de Fred, l'intellectuel se situe à l'antipode exact de la vie qui vit. Pour Fred l'artiste, vivre et intellectualiser sont carrément antinomiques.

 

A l’entendre (sa voix est celle d’un vieuxNAUFRAGE 29.jpg monsieur, mais qui a gardé intact le populo de son accent et de sa prononciation), les choses lui sont toutes tombées sur la feuille de dessin, sans avoir à chercher. Par exemple, le père de Philémon, dans la BD, ressemble à son propre père, pas besoin d’aller chercher loin.

 

NAUFRAGE 30.jpgEn fait, pour Philémon, Fred triche un peu. Car, comme il le déclare dans le livre de Marie-Ange Guillaume (L’Histoire d’un conteur éclectique, Dargaud, 2011, 29€ quand même, mais ça les vaut)L'HISTOIRE 1 D'UN CONTEUR ECLECTIQUE.jpg, tout se passe à Nice, pendant un repas de famille. Comme son fils Eric s’ennuie, il lui raconte une histoire. Et là c’est vrai, pas besoin d’aller chercher loin : « J’ai utilisé les éléments du décor : la mer, les bateaux, une bouteille ». Et c’est après qu’il a eu envie d’en faire un récit dessiné. Moi j’aurais ajouté une question : « Pourquoi précisément ce prénom : Philémon ? ». La réponse m’aurait intéressé. J’ai mes raisons. De vraies raisons que quelques-uns connaissent.

 

Avec le petit-fils, ç’a été un peu plus rigolo. Dans le jardin de la maison,NAUFRAGE 31.jpg il y avait un puits. Pour Alexandre, c’était forcément le chemin qui mène au A. La famille a été obligée de poser un énorme pot avec un « baobab » (dixit Fred) pour le boucher, et empêcher Alexandre de rejoindre l’île du A avec ses copains. Et notre moustachu dit ça d’un air bonhomme. Et qu’Alexandre l’appelait monsieur, ne voulant pas le croire son grand-père. Plus retors qu’il ne veut bien le paraître, Fred : va savoir si c’est vrai, qu’Alexandre l’appelait « monsieur ».

 

NAUFRAGE 33.jpgAlors le puits ? Sans vouloir décortiquer la chose, je note que dans le dernier épisode (Le Train où vont les choses), il est absent : fini, le puits. Ce qui fait la frontière, cette ultime fois, c’est la fumée produite par la « Lokoapattes », sorte d’épais brouillard qui fait tousser le hérisson, et dans lequel se perd le père (sans doute le "perd-père twitté") de Philémon, parce qu’il a rencontré le fantôme de Jojo, l'ancien garde-champêtre.

 

Cette frontière entre le « réel » et « l’imaginaire », le puits la dessinaitNAUFRAGE 34.jpg d’un trait épais, pour ne pas dire infranchissable : il fallait s’appeler Philémon pour y tomber. Dans ce 16ème et dernier épisode, la frontière a perdu de sa consistance, puisque, du fait de Joachim Bougon, le conducteur inattentif de la « Lokoapattes », celle-ci est sortie du « tunnel imaginaire » pour venir s’échouer dans des sables mouvants bien « réels ».

 

Mais Fred, grâce au « tunnel imaginaire », surmonte la difficulté. Normalement, si tout va bien, Philémon et Barthélémy le puisatier rejoindront la lettre A. Dans le fond, que le puits devienne tunnel, quelle importance ? L’essentiel n’est-il pas d’arriver à destination ? Ce qui reste définitivement sûr, c’est que Fred n’a jamais confondu « réel » et « imaginaire » (à l’instar de maints ados plus ou moins attardés, accros à leurs consoles). Mieux : il a réussi à donner à ses rêves et à son imaginaire la consistance d’une réalité durable.

 

NAUFRAGE 35.jpgEt cela est rendu possible, précisément, par le poste-frontière que le dessinateur-conteur a établi entre les deux mondes, par la magie d’un simple puits. L’île du A de l’océan Atlantique, c’est si l’on veut de l’imaginaire au carré. Qui fait que le fictif Philémon semble, en revenant dans le jardin paternel après une escapade sur le A, prendre corps dans une réalité un peu moins fictive que les histoires inventées. Une réalité plus proche de la nôtre, et dans laquelle Fred réussit à nous embarquer. On y croit.

 

Appelons ça le véritable esprit d’enfance, ou je n’y connais plus rien.

 

Comme je le disais lors de la parution du Train où vont les choses : monsieur Fred, merci du fond du coeur. Oui, vraiment, merci pour tout.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

mercredi, 17 avril 2013

FRED EST MORT !

 

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Je ne pouvais pas laisser passer l'événement sans m'y arrêter un moment. Je l'ai vaguement évoqué récemment, je le redoutais, et puis voilà, c'est arrivé : FRED EST MORT. 

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Il sera donc aujourd’hui question de Monsieur ARISTIDÈS. Othon ARISTIDÈS.  Et pour être précis : Othon Frédéric Wilfrid ARISTIDÈS (mais je ne garantis pas le Wilfrid). J’ai parlé de lui les 3 et 4 mars dernier. Son nom de plume a toujours été FRED. Il venait de publier Le Train où vont les choses, seizième album de l’extraordinaire (au sens le plus exact) série des Philémon. Une des séries de bandes dessinées qui me font croire à la possibilité de faire accéder le genre de la BD à la dignité d’œuvre d’art. 

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LE MONDE, PUIS LIBÉRATION, 8 AVRIL 2013 : ILS NE SE SONT PAS FOULÉS, POUR LEURS TITRES

 

NAUFRAGE 1.jpgA sa façon de reprendre telles quelles les sept premières pages du premier album, mais de laisser son héros étouffer dans une mer par trop réelle, au lieu de le faire atterrir à plat ventre sur une plage du A de l’Océan Atlantique, avec ses deux soleils, son centaure Vendredi, ses arbres à bouteilles, je craignais le pire. Le Train où vont les choses avait quelque chose de triste. Quelque chose même de funèbre et de testamentaire.

 

J’ai l’immense regret et la tristesse d’avoir eu raison en formulant mabande dessinée,fred,philémon,othon aristidès,le train où vont les choses,le monde,libération,philémon et le naufragé du a,poésie,marie ange guillaume,dargaud crainte. Le grand Fred est donc mort le 2 avril dernier. Je ne dirai pas : « Il était ceci, il était cela ». D’autres s’en sont chargés. Et Philémon, avouons-le, c’est une histoire qui commence très bêtement. Du moins en apparence.

 

bande dessinée,fred,philémon,othon aristidès,le train où vont les choses,le monde,libération,philémon et le naufragé du a,poésie,marie ange guillaume,dargaudSans vouloir faire l’éloge de feu Fred, je veux dire pourquoi, selon moi, les aventures de Philémon sont un pur chef d’œuvre littéraire (j’ai bien dit « littéraire »), et cela dès leur premier épisode – il faudrait même dire à cause du premier épisode. Le génie de Fred – n’ayons pas peur des mots –  éclate dans Le Naufragé du A, album qui joue le rôle de « Sésame » et qui ouvre l’incroyable grotte aux trésors. C'est dans ce premier album que Fred, chercheur d'or, tombe sur le filon. Je ne suis pas sûr qu'à ce moment-là, il se doute de ce qui lui est venu sous le crayon.

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Ali Baba, Simbad le marin et autres héros des Mille et une nuits peuvent aller se rhabiller. Ce n’est pas un hasard si Fred appelle "Simbad" son boxer favori, et en fait même le héros du cinquième épisode des Philémon : Simbabbad de Batbad. Le Naufragé du A, c’est tout simplement la clé qui ouvre ce palais merveilleux.

 

bande dessinée,fred,philémon,othon aristidès,le train où vont les choses,le monde,libération,philémon et le naufragé du a,poésie,marie ange guillaume,dargaudSans craindre d’exagérer, je dirai que tout Philémon est dans Le Naufragé du A. Les vignettes latérales dont sont jalonnés mes deux petits billets d'hommage sont extraites de cet événement fondateur. Ce premier épisode est le plus puissant, parce qu’il est le premier et, qu’à ce titre, c’est lui qui détient L’IDÉE. Tout le reste découle. Et cette idée, d’un certain côté, elle est toute simple. Prenez un puits, un bête puits abandonné. On est à la campagne. On a installé une pompe à bras. C’est donc le progrès.

 

Seulement voilà, la pompe tombe en panne. Disons même qu’elle seNAUFRAGE 17.jpg rebelle, et envoie dinguer le père de Philémon dans l’arbre. Notez que chez Fred, les histoires commencent au moment où quelque chose se détraque dans le « le train où vont les choses », qu’on appelle la « réalité ordinaire ». Le fiston reçoit l’ordre d’aller puiser de l’eau au puits.

 

NAUFRAGE 20.jpgLa porte ouverte sur l’autre monde, elle est là, au fond du puits. D’abord une bouteille, puis deux, avec des messages de détresse, ont émergé des profondeurs (mais en faisant : « plouf ! »). Philémon est trop intrigué pour résister : le voilà embarqué dans ses propres aventures. Arrivé au fond du puits, il lâche prise et se fait engloutir par un élément liquide aux dimensions impressionnantes pour un simple fond de puits : c’est la mer, avec des requins et des îles.

 

On est dans le conte, évidemment. Les aventures de Philémon commencent par un : « Il était une fois » imparable. Lewis Carroll avait écrit L’Autre côté du miroir et ce qu’Alice y trouva. Fred, à sa manière, a fait aussi simple et aussi magique. Et Marie-Ange Guillaume, qui s'est penchée sur le cas unique de ce magicien, est en plein dans le vrai en intitulant son excellent livre L’Histoire d’un conteur éclectique. Fred est un conteur.

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POURQUOI LE NOM DE MARIE-ANGE GUILLAUME NE FIGURE-T-IL QU'AU DOS, ET PAS SUR LA COUVERTURE ?

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 01 avril 2013

DE L'ART DE SE FAIRE DU LARD

 

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CETTE ADMIRABLE SILHOUETTE EST CELLE D'UN BORCHARDT C93, DE CALIBRE 7,65 mm, PEUT-ÊTRE LE PREMIER PISTOLET AUTOMATIQUE (ON ADMETTRA QUE LA CULASSE "EN GENOU" EST UN PEU ENCOMBRANTE)

 

BORCHARDT.jpg

ON PEUT NOTER QUE JACQUES TARDI, DANS SON EXCELLENT ADIEU BRINDAVOINE, S'EST CORRECTEMENT DOCUMENTÉ (VOYEZ LA CROSSE ADAPTABLE)

 

***

Parenthèse inaugurale : Merci à toi, François (non, pas toi, Hollande), d'avoir hier bien voulu oindre l'humanité souffrante de ton onctueuse BENEDICTION TURBIDE ET MORBIDE. Fermez la parenthèse. 

 

***

 

Parenthèse postinaugurale : Qu'on ne compte pas sur moi, en ce premier jour d'avril, pour verser dans la consternante coutume qui consiste à célébrer le poisson, de façon très généralement  tartignole, et ce, pour la raison qu'elle donne à ma bave l'odeur et la consistance du crapaud, et m'interdit d'atteindre la blanche colombe. Fermez la parenthèse.

 

***

 

La grande parenté de l'art et de la science au vingtième siècle, elle n'est nulle part ailleurs que là : l'hyperspécialisation de quelques individus sur un secteur hyperparticulier de la "recherche".

SOULAGES 1 PIERRE.jpg

CECI EST LE CRENEAU EXCLUSIF DU PETIT PIERRE SOULAGES

TOUS NOS COMPLIMENTS AU BAMBIN ET A SES PARENTS

Voire le monopole absolu exercé par un seul individu sur un article qu'il est absolument le seul à fournir. Un article si possible « original », avec vue imprenable sur la mer. Un artiste a délimité un champ de la « recherche » sur lequel il s'est arrogé tous les droits de propriété. 

BUREN 8.png

L'AIRE DE JEU CONSENTIE PAR SON PAPA ET SA MAMAN AU CHARMANT BAMBIN NOMMÉ DANIEL BUREN

Les exemples pullulent. Le noir ? C'est Pierre Soulages. La rayure verticale de 8,7 cm ? Daniel Buren. L’horizontale ? Michel Parmentier. 

KLEIN 16 EPONGE SE 191.jpg

Le monochrome bleu ? Yves Klein (ci-dessus SE 191, SE voulant dire "sculpture éponge"). Le carrelage blanc à joint noir (voir plus bas) ? Jean-Pierre Raynaud. Le quadrilatère mou ? Claude Viallat. Le slogan blanc sur fond noir ? Ben Vautier. La compression et l’expansion ? César Baldiccini, dit modestement et en toute simplicité César. Le totem en tranche napolitaine ? Bernard Pagès. On n’en finirait pas. 

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EMPREINTES DE L'EPONGE DE L'ESPIEGLE ET PRIMESAUTIER CLAUDE VIALLAT

La contrepartie de la chose peut se comparer à ce qui est arrivé à Louis de Funès à force de grimaces irrésistibles : jouer les tragiques lui a toujours été formellement interdit (comme je m'interdis ici une digression pourtant prometteuse). On n’imagine pas Bernard Pagès (ci-dessous) faisant une Vénus réaliste ; Soulages du vert ou du rose ; Buren (horresco referens) des rayures horizontales ; Klein du bicolore ; Raynaud du carrelage noir à joint blanc ; tout comme ça. Ils n’ont pas intérêt à sortir de leurs rails, sous peine de ne plus être identifiés. De retourner au néant, pour ainsi dire.

PAGES 5.jpg 

"IL EST PAS CHOU, MON TOTEM ?", DEMANDE BERNARD PAGÈS

Cela veut dire une chose : aujourd’hui, un artiste a réussi quand son nom vient comme un automatisme à la simple vue de n’importe laquelle de ses œuvres. Exactement ce qui se passe pour la virgule ou les trois bandes sur les chaussures de sport, ou pour la pomme croquée sur un ordinateur ou un disque des Beatles.

 

Eh oui, une part importante de la production « contemporaine » (ça date déjà) fonctionne ni plus ni moins que comme une marque commerciale. La rayure de Buren n’est rien d’autre qu’un vulgaire « logo ». Buren est ce qu'on appelle en publicité un « créatif » (j'ai les lèvres gercées, sans ça, je vous jure, je pouffe). J'aimerais que quelqu'un puisse me dire que ce n'est pas vrai.

RAYNAUD 1 JEAN-PIERRE.jpg

"LE MONDE EST UNE SALLE DE BAINS", DECLARE JEAN-PIERRE RAYNAUD

Cela veut dire aussi que chaque artiste a fait des recherches avant d’entamer sa « recherche » : on appelle ça des « enquêtes marketing ». Chacun, au moment de se lancer, se rase tous les matins en priant : « Mon Dieu, Seigneur, aujourd’hui, donne-moi L’IDÉE ! ». Ce qu’il faut au publicitaire au moment de lancer sa campagne pour les pâtes Codbarzilla ou le fromage Caprice des Vieux, c’est exactement ça : une « idée ». 

 

Conclusion : dans l'art du vingtième siècle,

 

L'IDÉE A ÉLIMINÉ LE STYLE.

 

VAUTIER 2.jpgL’artiste, dès lors débarrassé de l'ennuyeuse question du long travail sur la matière, et l'ayant remplacé avantageusement par de la « pensée », du « concept », devient le développeur de sa propre idée, qu’il décline sous toutes les formes possibles, et qu'il sous-traite à des tâcherons. De même, le rat de laboratoire, atteint d’une myopie irrécupérable, creuse la part de fromage qui lui est dévolue, sans s’occuper des cris et chuchotements du compartiment voisin, juste occupé de sa propre survie.

 

Le propre de ces démarches estCOMBAS 1.jpg précisément que Klein a fait breveter son bleu, Buren ses rayures, Raynaud ses carreaux blancs, Soulages son noir, Viallat son éponge, Bernard Pagès son totem, Robert Combas (ci-contre) son style BD sale, suivis par des cohortes d’artistes, qui se sont mis à faire la queue au guichet de l’INPI pour déposer leur marque, éviter de se faire piquer leur trouvaille, et toucher les bénéfices. Faire de l'art est aujourd'hui une entreprise comme les autres : après avoir eu L'IDEE, il faut savoir la "gérer". Autrement dit : lui faire cracher du cash.

 

L'atelier de l'artiste est devenu une entreprise. Celui qui se proclame artiste est un simple propriétaire. Comme tel, il s'est mué en rentier jaloux de ses droits. C'est ainsi que le déplorable Daniel Buren, après avoir conçu un couvercle pour le parking souterrain Place des Terreaux à Lyon, a intenté un procès à des fabricants lyonnais de cartes postales qui avaient le culot de vendre LEURS photos de SON couvercle SANS lui payer aucun droit d'auteur. Le tribunal l'a heureusement débouté. Mais c'est un signe. Avis à tous les couvercles.

 

Quelque chose d’essentiel a vraiment, définitivement disparu du paysage, mais quoi ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

NB : Ceux qui auraient compris que la photo d'arme à feu qui chapeaute le présent billet a quelque rapport avec l'orientation de son propos ont acquis quelque droit aux félicitations du jury.

 

 

jeudi, 21 mars 2013

HERGE CONNAISSEUR DE COSINUS

 

ELEPHANTIASIS 2.jpg

UN ELEPHANTIASIS DU SCROTUM, PARTICULIEREMENT SPECTACULAIRE

(même si on ne sait pas au juste ce qu'est un scrotum, on le devine ici)

 

***

Ceux qui, le 15 novembre dernier, sont venus lire mon petit billet du jour, savent qu’Hergé, pour être, d’une certaine manière un génie, ne méconnaissait pas pour autant ses grands prédécesseurs, en particulier le nommé Georges Colomb (pour l’état civil), alias Christophe, en toute modestie, son nom de plume. Ce professeur de sciences savait écrire, mais il savait tout aussi bien dessiner. Et cela dans un esprit de 'pataphysicien chevronné avant l'heure et de cousin putatif d'Alphonse Allais et de l'Alfred Jarry de La Chandelle verte et de FaustrollTout est dans Faustroll », disait le T. S. (Transcendant Satrape) Boris Vian).

 

Ces drôles de dons lui ont permis d’enfanter quatre albums qui sont autant d’enchantements. Christophe y fait évoluer des personnages aussi improbables qu’inoubliables, et qui ont noms Fenouillard, Camember, Plick et Plock et Cosinus.

 

photographie,monstres,monstruosités,freaks,bande dessinée,hergé,tintin,capitaine haddock,christophe georges colomb,cosinus,plick et plock,famille fenouillard,camember,humour,le temple du soleil,malices de plick et plock,mathématiques,on a marché sur la lune,whisky,zorrinoOn sait donc, depuis le 15 novembre 2012, que lephotographie,monstres,monstruosités,freaks,bande dessinée,hergé,tintin,capitaine haddock,christophe georges colomb,cosinus,plick et plock,famille fenouillard,camember,humour,le temple du soleil,malices de plick et plock,mathématiques,on a marché sur la lune,whisky,zorrino capitaine Haddock en boule de neige, quand il dévale une pente des Andes (Le Temple du soleil) pour s’écraser contre un rocher miraculeusement placé, est un gag trouvé par Hergé dans Les Malices de Plick et Plock, y compris les pieds qui dépassent.

 

Mais il n’y a pas que Plick et Plock. Il est temps en effet d’en venir à celui qui nous intéresse : Zéphyrin Brioché, plus tard connu sous le nom de Docteur Cosinus, qui, quand il donnait ses cours à la célèbre Ecole des Tabacs et Télégraphes, « ne manquait jamais de prendre son mouchoir pour le torchon, et réciproquement ».  

 

Quand il était entre copains, d’humeur batailleuse, il aimait le moment de la « multiplication des pains », multiplications « généralement suivies de divisions, M. Brioché père se faisant un devoir d’appliquer à son fils la règle des compensations proportionnelles », en se servant d’une simple cravache en état de marche.

 

COSINUS 3.jpgSortant de Polytechnique, Zéphyrin Brioché, dit Cosinus, est donc devenu d’une distraction proverbiale. En grand habit de soirée, devant accompagner au bal deux parentes, il est retardé par un problème intéressant qui se présente inopinément à lui, et les laisse partir : « Partez devant ! Vous ne serez pas au pont Neuf que je vous aurai déjà rattrapées ».

 

C’est ainsi que, s’étant escrimé sur son tableau noir et ayant souillé deCOSINUS 4.jpg craie son bel habit, il voit ses cousines revenir du bal à 4 heures du matin. Excédé, il s’exclame, dans un épais nuage de poussière de craie : « Dieu que les femmes sont entêtées ! Allez donc toujours, puisque je vous dis que vous ne serez pas au pont Neuf que je vous aurai déjà rattrapées ! ».

 

COSINUS 1.jpg

 

 

 

Mais je ne vais pas reconstituer l’existence du grand distrait que fut le savant Cosinus. C’était juste pour rappeler quelques traits de l’inventeur de (cf. à g.) l’illustre « Anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle ». Car il s’est mis dans l’idée de faire le tour du monde. C’est son « Idée fixe » (le titre exact de ses aventures). Il ne quittera guère les environs de Paris, comme bien l’on se doute, malgré des tentatives réitérées.

 

En vue de l’une d’elles, il veut se procurer un vélocipède, mais il s’y prend de telle manière qu’il tombe à plat-ventre, du fait du chien Sphéroïde, sur la piste où roule déjà Madame Belazor. On le croit mort. Le docteur Letuber s’occupe de lui, essayant d’abord de le regonfler à coups de pompe à vélo, puis de cataplasmes brûlants, puis d’hydrothérapie, puis d’électrothérapie, puis de sérothérapie, puis de chatouillothérapie, et même de la Belazorthérapie (voir ci-dessous) : peine perdue.

 

Pour « se donner une contenance », Letuber s’approche du tableau noir de Cosinus et « change un signe dans une équation ». Bingo !!! « Feu Cosinus bondit : "Mais môsieu ! Ma formule est fausse maintenant !" ». Ainsi vient d’être inventée la mathématicothérapie, « qui devait rendre si célèbre le docteur Letuber ». Ainsi Cosinus ressuscite-t-il. C’est exactement à ce point que je voulais en venir.

COSINUS RESSUSCITE.jpg

ON VOIT, DERRIERE LE BOIS DE LIT, SCHOLASTIQUE INONDER SON MOUCHOIR.

 

Car Hergé n’a pas seulement lu Christophe : il s’en est inspiré ici ou là. Cette résurrection de Cosinus ressemble de bien près à deux "résurrections" du capitaine Haddock. L’une à la fin de On a Marché sur la lune : allongé sur un brancard, le capitaine est mis sous masque à oxygène, mais donne les plus vives inquiétudes. Un médecin rappelle qu’il « fut un grand buveur de whisky ». Aussitôt, le capitaine se dresse sur son séant en arrachant le masque et réclamant la boisson dont il vient d’entendre le nom.

TEMPLE 5.jpg

L’autre résurrection a lieu à la page 32 du Temple du soleil, juste avant l’épisode de la boule de neige. Enseveli par l’avalanche qu’il a déclenchée en éternuant, le capitaine est retrouvé (grâce à Milou) le visage déjà violacé par l’asphyxie. Tintin trouve une topette de whisky dans sa poche revolver, la débouche. Le capitaine frétille du nez à cette odeur, il se dresse, arrache le flacon et le vide dans un seul élan. Le voilà sur pied, comme si de rien n’était.

 

On dira qu’une erreur ajoutée dans une équation mathématique n’a rien à voir avec du whisky. Certes. Mais la résurrection de Cosinus ne vous semble-t-elle pas, malgré l'hétérogène des contextes et des motifs, cousine de celle du capitaine ? 

 

Il y a fort à parier que l’idée de résurrection fut soufflée à Hergé par le Cosinus de Christophe.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 18 mars 2013

LE PETIT ZACHEE 2/2

 

MRS VIOLET.jpg

MRS VIOLET, DONT UNE DES DEUX MOITIÉS FUT MONTÉE A L'ENVERS

 

***

Je finissais la note précédente sur le portrait, par Hoffmann, de Zachée, surnommé Cinabre, le monstre indescriptible inventé par son génie. Notez que le personnage inimaginable imaginé par Hoffmann est le commentaire qu'il fallait pour commenter en quelque sorte la série de photos que je publie en en-tête de mes billets, depuis le 27 février, et qui a débuté avec l'extraordinaire et bien nommée extratête du Mexicain Pascual Pinon. Revenons à Zachée-Cinabre.

 

Le malheur qui explique cette conjonction catastrophique et caricaturale (hideur + méchanceté + vanité crevant de concert le plafond de l'imaginable) veut que la fée Rosabelverde (chanoinesse Rosenschön) soit passée sur la route où la vieille et pauvre Lise se lamentait sur son sort et la malédiction qui lui avait valu de donner le jour à un monstre. 

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UNE DES PREMIERES EDITIONS DE "KLEIN ZACHES"

(à droite, on voit les ailes de la fée et le peigne dont elle coiffe l'horrible créature)

La fée prend pitié et, pendant que la mère pique un opportun roupillon, cajole l’être invraisemblable en lui caressant la tête, le dotant soudain d’une magnifique chevelure blonde et bouclée. Le malheur, ensuite, veut évidemment que Zachée arrive dans la ville de Kerepes, où vivent tous les gens déjà cités.

 

Et c’est là qu’intervient le génie de Hoffmann, une idée proprement extraordinaire. L’amoureux Balthasar, invité à une soirée chez le maître Mosch Terpin, lit son poème qui « chantait les amours du Rossignol pour la Rose purpurine », transparent pour qui connaît ses sentiments pour Candida. Mais quelle n’est pas sa stupéfaction quand, à la fin de la lecture, toute l’assemblée se précipite autour du « jeune seigneur Cinabre » (qui n’est autre que le monstre Zachée) pour le féliciter et le remercier pour la beauté du poème et de sa prestation, au-delà de tout éloge.

 

Voici l'explication : Zachée, surnommé Cinabre, a reçu de sa fée protectrice le don de détourner sur sa personne et à son seul profit toute l’admiration et les louanges dont un autre individu s’est rendu digne, en quelque circonstance que ce soit. Littérairement, l'idée de Hoffmann ne souffre aucune concurrence, dépassant de très loin toutes les trouvailles des écrivains qui n'ont que du savoir-faire. 

 

Hoffmann a inventé un personnage infiniment "plastique" en même temps qu'il lui permet d'attaquer bille en tête le grotesque et l'arbitraire des "valeurs" socialement reconnues, qu'il s'agisse de littérature, d'art, de politique, etc. Au surplus, Zachée détourne sur d'autres tous les actes ou gestes qui devraient normalement le rendre insupportable. Ainsi, quand Cinabre se vautre sur le sol en poussant des grognements ridicules, c’est Balthasar qu’on accuse de se livrer à une pantomime indigne et indécente.

 

Ayant fui dans la forêt voisine, de dépit et de colère, Balthasar voit passer son professeur de violon Vincenzo Sbiocca, qui lui déclare son écœurement : les habitants de Kerepes sont tous cinglés. Il vient de jouer le périlleux et difficile concerto de Viotti (compositeur bien réel, estimé de Hoffmann) devant une assemblée qui, dès son achèvement, a entouré le nain Cinabre pour porter aux nues son talent, son divin génie : « Quel jeu !... quelle tenue !... quelle expression !... quelle virtuosité !... ». Un charme puissant attire les applaudissements sur le gnome Cinabre pour mieux en dépouiller ceux qui les méritent.

 

C’est aussi ce qui arrive au référendaire Pulcher qui, sous le coup de la honte, fait le geste de se brûler la cervelle. Balthasar l’en empêche. L’autre lui raconte alors que, postulant à l’emploi de « secrétaire intime auprès du Ministre des Affaires étrangères », il se voit coiffé au poteau par l’infernal Cinabre qui, une fois de plus, reçoit impudemment toutes les louanges que méritait le bon Pulcher, qui, de son côté, est brutalement et définitivement congédié.

 

L’ascension politique et sociale de Cinabre est également brutale et fulgurante : il se retrouve promptement conseiller, puis ministre, mais aussi décoré du « grand cordon de l’ordre du Tigre moucheté de vert à vingt boutons », quasiment tout-puissant. Les « vingt boutons » ont été inventés par le tailleur royal pour faire tenir la décoration sur le corps horriblement compliqué du bonhomme (pour dire si Hoffmann a de la considération pour les décorations et les gens décorés). Bref, Cinabre est à son apogée.

HOFFMANN ZACHEE 3.jpg

LA FEE ROSABELVERDE COIFFANT SON PETIT "RADIS FENDU EN DEUX"

(quoique je trouve ce dernier presque trop présentable)

Heureusement, le puissant magicien Prosper Alpanus veille, et révèle à Balthasar le « talon d’Achille » de Cinabre : il suffira d’arracher au monstre les trois cheveux rouges qu’il dissimule au sommet de sa chevelure et de les jeter aussitôt dans le feu, pour que tous les sortilèges protecteurs soient dans l’instant abolis.

 

C’est exactement ce qui se produit :

 

« Mais, sans se soucier le moins du monde de ces cris, Balthasar tira de sa poche la lentille du docteur et à travers elle braque son regard sur la tête de Cinabre. (…)

         – Main forte ! Main forte ! crie Balthasar.

         A ce signal, Fabian et Pulcher saisissent le petit monstre et paralysent ses mouvements ; Balthasar saisit alors avec adresse et précaution les cheveux rouges, les arrache d’un seul coup, bondit vers la cheminée et les jette au feu où ils se consument en pétillant. Puis un coup assourdissant se fait entendre et tout le monde paraît sortir d’un rêve… ».

 

Aussitôt, la foule, à l’égard de Cinabre, retourne sa vénération en abomination, conspuant le « ministre » quand il se montre à sa fenêtre, et brûlant sans remords ce qu’elle adorait l’instant d’avant.

 

Son valet de chambre le cherche en vain, jusqu’au moment où il aperçoit ses maigres jambes émerger, inertes, du pot de chambre : le ministre, saisi par la terreur d’être lynché par la foule en délire, s’est précipité dans son propre vase d’aisance, pour mourir (Hoffmann ne le dit pas) étouffé dans ses propres excréments. Dûment lavé de toute souillure, il fait l’objet de quelques apitoiements officiels, puis est discrètement enseveli.

 

Sa mère, la vieille Lise, se voit attribuer l’exclusivité du commerce des oignons au palais princier. Balthasar épousera Candida. Tout est bien qui finit bien.

 

Klein Zaches genannt Zinnober (le titre allemand) assume sans complexe son statut de conte de fées, mais on aurait tort d’ignorer son côté terriblement ironique, voire caustique à l’égard de toutes les autorités politiques, administratives et scientifiques qui se parent de tout le lustre du sérieux et de la componction indispensables au respect que tous doivent à des fonctions socialement sacrées. Hoffmann n’aime pas les pontifiants.

 

En 1819, quand le conte est imprimé, Goethe est le grand notable des Lettres allemandes, et c’est peu de dire que Hoffmann ne le porte pas dans son cœur. Il faut imaginer la joie éprouvée par le conteur à égratigner la statue du grand homme, imbu de sa propre importance et prêchant dans ses œuvres la vertu, la Raison et la retenue.

 

Il faut imaginer la malignité qu’il met, pour contrer rationalisme et scientisme, à déployer diverses fantasmagories, tel l’attelage incroyable dans lequel se déplace Prosper Alpanus : il en rajoute à plaisir. Le char est une coquille ouverte de cristal,  un grand scarabée agite ses ailes pour rafraîchir le mage, dont le pommeau de la canne a des pouvoirs étranges. Deux licornes blanches conduisent le véhicule. Bref, Goethe n’aime pas le merveilleux ? Eh bien on va lui en donner.

 

Il existe peu de littérature à ce point jouissive et jubilatoire, que ce soit au premier ou au 678 ème degré (selon l'échelle scientifique établie par Marcel Gotlib dans la Rubrique-à-brac, ici p. 53).

DEGRE 678 HUMOUR.jpg

ON EST ICI, MÊME SI ÇA NE SE VOIT GUERE, DANS LE GAG DU GARS QUI SCIE LA BRANCHE SUR LAQUELLE IL EST ASSIS.

 

Une lecture réjouissante, donc, à quelque degré qu'on la situe.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 04 mars 2013

LE DERNIER FRED ?

 

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ROSA & JOSEPHA BLAZEK, LES "SOEURS SIAMOISES"

 

***

Parmi les inventions qui me reviennent en mémoire (mes albums sont je ne sais où), je me souviens que, pour passer d’un monde à l’autre, dans les deux sens, à chaque fois ou presque, le moyen varie, faisant parfois intervenir l’oncle Félicien qui, contrairement au père de Philémon, esprit buté et primaire, semble connaître tous les mystères de cette histoire. Comme chacun sait, le père de Philémon est un être profondément fruste, primaire, vaguement prognathe et quasiment néandertalien. Bien des gens vous le diront.

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LE MANU-MANU MILITARI

 

Il me revient aussi le « Manu-manu Militari », trouvaille extraordinaire ; un bateau merveilleux (un bateau ivre, évidemment, piloté par un certain Arthur Imbô) ; les rouleurs de la mer ; le charmeur de mirages (car Simbabbad de Batbad est un mirage qui ne saurait apparaître qu’à ceux qui croient aux mirages).

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LES ROULEURS DE LA MER

 

Soit dit par parenthèse, je croyais que le 3èmeprénom de Fred était Wilfrid. Je dis ça sur la foi des enquêtes du commissaire Bougret, admirables parodies policières dessinées par Gotlib, où l’un des deux suspects (toujours innocenté) est annoncé dans le bureau (par un inspecteur Charolles à la tête de Gotlib en personne) sous le nom de Aristidès Othon Frédéric Wilfrid, alors que le coupable est toujours Blondeaux Georges Jacques Babylas et qu’il a la tête de Goscinny (Georges Blondeaux, on se doute que c’est un autre copain de la bande, Gébé, et c’est sa tête que Gotlib a donnée au commissaire, j’espère que vous suivez). 

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FRED ARISTIDÈS REFUSE DE SERRER LA MAIN DE BOUGRET, ALIAS GÉBÉ

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BLONDEAUX-GOSCINNY (LE COUPABLE) SALUE LE COMMISSAIRE BOUGRET-GÉBÉ 

J’arrête, ça nous entraînerait trop loin. C’est dommage, parce que j’allais parler du « Matou matheux », un bel et délirant hommage de Gotlib à l’univers de Fred, histoire dans laquelle celui-ci a dix secondes pour trouver l’âge du capitaine Capitaine (sic !), pour aider l’élève Chaprot dans son exercice de calcul mental.

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J’allais aussi faire un sort à une double page de Gotlib (texte) et Gir (dessin fantastique, p. 462-463 de l’intégrale Rubrique-à-brac) pour illustrer une phrase coutumière (?) de Fred (et célébrissime à Pilote) : « Le fond de l’air est frais », et qui, partant sur l’expression « Un pauvre hère », aboutissait à la moralité : « Le fond de l’hère effraie ». Petites plaisanteries entre amis, qui évoquent (de loin) Comment j'ai écrit certains de mes livres, du grand et méconnu Raymond Roussel.

 

Puisque je me suis interdit toute digression, je reviens au dernier tome de la série des Philémon, dont la bande de couverture annonce : « L’ultime voyage de Philémon, le chef d’œuvre de Fred ». Le titre ? « Le Train où vont les choses ... ». 

 

Sous le regard placide de deux corbeaux, une nouvelle histoire commence (« C’est pas trop tôt », dit l’un d’eux), avec une « lokoapattes », conduite par un Joachim Bougon portant bien son nom, et qui marche à la « vapeur d’imagination ». Bougon n’est pas très bon conducteur : s’étant endormi à son poste, la lokoapattes est sortie du tunnel imaginaire pour s’embourber dans un marais. Il s’agit de rentrer à la maison. 

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Oncle Félicien, comme souvent, donne la solution : « Mais pour trouver l’entrée du tunnel imaginaire, monsieur Bougon, il suffit de l’imaginer, c’est tout simple, quoi ! ». Après diverses péripéties, dont un passage chez une araignée du soir chagrin redevenue araignée du matin espoir (elle a perdu son dictionnaire de rimes), Bougon prononce la phrase fatidique : « Je sens le frais du fond de l’air au fond ». On approche de la fin (à tout point de vue). L’histoire est courte (pas 40 pages, dont sept empruntées au premier de la série). L’album est excellent, mais …

 

 

Cette suspension pour me permettre de revenir à mon Chevalier Ardent du début : de même que Les Murs qui saignent, Le train où vont les choses … (quels beaux titres !) serre le cœur, et de façon moins détournée, plus poignante que l’album de Craenhals.

 

 

photographie,monstres,freaks,soeurs siamoises,blazek,fred,bande dessinée,pilote,philémon,gotlib,commissaire bougret,rubrique à brac,le train où vont les chosesVisiblement, Craenhals voulait en finir avec son roi Artus (« Un royaume pourri du dedans de votre âme », lui lance sa propre fille Gwendoline), mais il ne va pas jusqu’à le faire mourir, comme s’il reniait pour finir l’ensemble de l’aventure (trente ans tout de même). Comme s’il voulait effacer cette imposture. 

 

Fred lui, ne tergiverse pas, il envoie son héros au fond de la mer : on retourne carrément au tout début du premier épisode, mais cette fois, au fond de la mer au fond du puits, il n’y a plus d’île du A, plus de plage, plus de double soleil, plus de centaure Vendredi. Il n’y a plus que Philémon, auquel l’air vient à manquer : « De l'air ! De l'air ! ... ». Le reste (l'essentiel) n'est pas dit, mais suggéré. Cet album d’un grand poète de la bande dessinée a des parfums de Testament. Et ça me fait quelque chose.

 

Il y a un tas de raisons pour cela. Et un tas de raisons qui me font me féliciter que tout ceci ne soit que de la bande dessinée. Cela, j’y tiens beaucoup.

 

 

Monsieur Fred, merci pour tout.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 03 mars 2013

LE DERNIER PHILEMON DE FRED ?

 

PRINCE RANDIAN 1.jpg

PRINCE RANDIAN, L'HOMME DEPOURVU DE MEMBRES, EN TRAIN DE SE RASER

(dans "FREAKS" de Tod Browning, il faut l'avoir vu allumer tout seul sa cigarette : spectaculaire)

 

***

Grand lecteur en mon temps des hebdos (mais pas fessiers) Tintin, Spirou, puis Pilote, j’ai longtemps biberonné de la bande dessinée en même temps que je me mettais à la littérature d’aventures (Le Capitaine Corcoran, d’Alfred Assollant, Par Dix mètres de fond, par X, Les Trois Mousquetaires, par qui vous savez …). Parmi les « héros » de Tintin, j’ai suivi la série de François Craenhals, Chevalier Ardent, héros pour pré-ados, valeureux, loyal et amoureux de la princesse Gwendoline, et tout et tout.  

 

Le dernier que j’ai acheté est paru en 2001. Intitulé Les Murs qui saignent, il exprime, de la part de l’auteur de la série, un sentiment d'amertume désabusée. Il raconte l’agonie de la toute-puissance d’un roi despotique et autoritaire et le surgissement soudain dans le présent d’épisodes anciens de son existence, qui viennent ternir d’un seul coup son prestige, par la révélation de traîtrises et d’abus qui lui avaient permis d’arriver au pouvoir.

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ARDENT DE ROUGECOGNE ET LE ROI ARTUS

Cette fin affolée d’un roi vieillissant qui voit surgir des cauchemars si longtemps enfouis, et qui soudain n’est plus que l’ombre de lui-même, alors que, la veille, il terrorisait encore, recèle une force de signification. Le mythe d’une existence glorieuse s’effondre. Cette histoire a quelque chose de poignant, de pathétique. Et pour tout dire : de crépusculaire. Trois ans après la parution, François Craenhals mourait. C’était en 2004.

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LA PRINCESSE GWENDOLINE ET SON PÈRE LE ROI

J’y pense en ce moment, parce que je viens d’acheter le 16ème Philémon, du nom du héros de la série, comme de juste. Celui-ci s'intitule Le Train où vont les choses ... Un album tout aussi crépusculaire, et même davantage. photographie,monstres,prince randian,freaks,tod browning,tintin,spirou,pilote,capitaine corcoran,trois mousquetaires,chevalier ardent,bande dessinée,littérature,philémon,fredLa série est écrite et dessinée par Fred, et placée sous le signe de la poésie, du rêve et de la fantaisie à un degré aigu.

 

Pensez, la série est inaugurée dans Pilote en 1965 : sur l’ordre de son père, Philémon doit aller puiser de l’eau au puits familial, parce que la pompe à bras est détraquée. Le puits est désaffecté (on voit d’énormes toiles d’araignées) ? Je ne veux pas le savoir ! Vas-y !

 

 

Philémon obtempère. Dans le seau, il remonte une bouteille vide. Vide ? Non : sur le papier enroulé, il lit : « Au secours ». Ne voyant rien au fond du puits, il s’éloigne, mais entend soudain un « Plouf ! » caractéristique : une nouvelle bouteille ! Cette fois, le papier porte : « A l’aide ! Ne m’abandonnez pas ! ». Au moment où il descend carrément dans le puits, une troisième bouteille, comme venue du fond : il tombe et coule, entraîné vers on se sait quel abysse.

 

Il manque d’air, il étouffe. Va-t-il se noyer ?  Non. Il se réveille sur une plage de sable, voit qu’il a deux ombres : c’est normal, il y a deux soleils. Soudain, une horloge sans aiguilles sort de terre, dont le mécanisme, une fois mûr, explose. Croyant retrouver son âne Anatole, il vexe le centaure (qui s’appelle Vendredi, qui, tous les dimanches, est pris d’un fou-rire, comme le veut le proverbe) en lui claquant les fesses. 

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Puis Philémon tombe dans un puits, un des innombrables que, pour sortir de là, a creusés Barthélémy (en costume de Robinson traditionnel), le puisatier de la légende villageoise, mystérieusement disparu quarante ans auparavant, et qui jette désespérément des bouteilles à la mer (avec des messages), cueillies mûres sur l’arbre à bouteilles, et qui aboutissent au fond du puits désaffecté dans lequel il était tombé.

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Il explique à Philémon qu’ils se trouvent sur une île, mais pas n’importe quelle île : le A. Le A ? Oui, sur les cartes du monde, c’est le premier A d’ATLANTIQUE : « Car j’ai aperçu le T et je sais que plus loin il y a le L ». Autrement dit, une île de papier, mais sur laquelle la vie grouille aussi bien que dans la réalité.

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Pour vous dire, la pauvre cabane construite par Barthélémy n'a pas cessé de "pousser", elle est devenue, quarante ans après, un immense, splendide, luxueux et royal palais. Aucun doute : ils sont sur la lettre A écrite pour indiquer « Océan Atlantique » sur la carte. 

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LÀ, C'EST PLUS TARD, DANS "SIMBABBAD DE BATBAD" (vol. 5)

ILS SONT SUR LE ROND DE FUMÉE SOUFFLÉ PAR SIMBABBAD, QUI LEUR PERMETTRA (D'UN COUP DE LORGNETTE) DE REVENIR DANS LA REALITÉ PAR LE BIAIS DE LA PIPE D'ONCLE FELICIEN

Bon, pas besoin d’insister : ce début du premier album suffit pour caractériser l’imaginaire dans lequel vous embarque Frédéric Othon Théodore Aristidès, dit « Fred », que sa moustache fait ressembler à l’aviateur Blériot (gag récurrent dans l’hebdomadaire Pilote).

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

dimanche, 20 janvier 2013

HISTOIRE POUR ENFANTS GRANDIS

Pensée du jour :

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BRACELET DE BRAS (ivoire), GURUNSI, BURKINA FASO, GHANA

 

« Le vent se déchaîne et la neige tombe. La tour de Pise a oscillé. Un tourbillon a emporté la gare olympique de Grenoble. Au sommet du puy de Dôme, il a fallu chercher, avec des sondes, dans cinq mètres de neige, le chasse-neige qu'on avait laissé là le matin ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Aujourd’hui, pour me détendre un peu, comme les enfants sont couchés et que ce blog se débrouille depuis longtemps pour tenir à distance les jeunes en général et les mineurs en particulier, du fait du raffinement des hautes considérations qui s’y bousculent, j’ai décidé de raconter une histoire. D'un goût évidemment excellent et distingué, comme il se doit.

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Une pas vraie, comme toutes les bonnes histoires.

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Enfin, comme c’est quelqu’un d’autre qui la raconte, je vais tout de suite lui laisser la parole. 

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Enfin, quand je dis la parole, je devrais plutôt dire le crayon. 

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Et l’on voit de quel « crayon » il s’agit. 

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Mais on n'aura pas la possibilité de le féliciter de la haute qualité de son dessin et de la haute spiritualité de son inspiration : l’auteur, « souffrant d’une modestie quasiment maladive » (GEORGES BRASSENS, Les Trompettes de la renommée) est si modeste qu’il a tenu à rester anonyme.

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C’est bien dommage : on aurait aimé le saluer pour le louer de la délicatesse de ses oeuves.

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J’espère qu’on appréciera la virtuosité du coup de « crayon ». 

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J'ATTIRE L'ATTENTION (SI BESOIN) SUR L'ALACRITÉ DES DIALOGUES

DIRTY 1.jpgEt j’espère qu’on goûtera à sa juste valeur l’exemple d’humanisme qui se dégage du scénario. L’art du découpage. Le sublime du message philosophique. Cela s'appelle du doux nom de Dirty comix, synonyme d'élégance morale, de raffinement intellectuel et de "délicatesse" esthétique.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

samedi, 19 janvier 2013

ODE A ANDRE FRANQUIN

Pensée du jour : 

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MAHONGWE, GABON

« Les villes remontent à la plus haute antiquité. Il n'y a qu'à voir la rue Broca ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

 

DEMES V 3.jpgL’art de la bande dessinée ne consiste pas seulement à donner au lecteur l’impression d’être en face d’une réalité, mais d’y être transporté. Tout simplement : d’y être. L'impression de réel par l'expressivité du dessin. Un peu comme au cinéma (pas toujours, il faut bien dire). C’est d’ailleurs en cela qu’on peut dire que la bande dessinée est un art.

 

 

Regardez les BD japonaises, que dévorent au kilomètre les jeunesDEMES V 4.jpg générations. Mangas, on appelle ça. Je veux bien qu’on appelle ça des produits, mais pas plus. C’est fabriqué comme l’œuf dur destiné aux cantines scolaires : à la chaîne, vous savez, ces tubes où le jaune est introduit en continu dans un habitacle de blanc, pour être, au bout, découpé en tranches où jaune et blanc sont uniformément répartis sur les tranches. En continu. Avec une armée de gens spécialisés, chacun dans son secteur : les décors, les personnages, les trames de gris ou de couleurs, etc.

 

 

DEMES V 8.jpgD’accord, il y a un metteur en scène. Mais je comparerais ça à l’opposition traditionnelle littérature / cinéma. D’un côté la solitude du romancier. De l’autre, l’entreprise industrielle. En BD, c’est exactement pareil. A mes yeux, comme on dit au Japon : « Yapafoto »).

 

 

Personnellement, je suis resté fidèle à l’artisanat d’art et à quelques-unsDEMES V 10.jpg de ses éminents représentants. Au premier rang, je ne citerai que des « grands anciens » : GIR (alias GIRAUD, alias MOEBIUS), JACQUES TARDI, HERMANN, BILAL, pour ne parler que de ceux qui créent encore.

 

 

DEMES V 12.jpgPour JEAN GIRAUD, je sais que j’ai tort, puisqu’il est mort très récemment (10 mars 2012), mais sa dernière série (Monsieur Blueberry) mérite qu’on rende hommage à son art du flash-back, à sa virtuosité dans la superposition des trames narratives et à la profondeur qui caractérise les personnages secondaires (alors que le dernier épisode de la prometteuse trilogie Marshall Blueberry a été carrément bâclé : visiblement, il voulait s’en débarrasser). 

 

 

Et puis il y a FRANQUIN. J’avais un collègue qui portait aux nues lesDEMES V 15.jpg aventures de Chevalier Ardent, le guerrier de petite noblesse, amoureux de Gwendoline, la fille du grand roi Arthus qui le lui rendait bien, mais dont le papa avait pour elle d’autres ambitions matrimoniales que de la marier avec cet obscur nobliau.

 

 

DEMES V 22.jpgC’est sûr, il y a dans Chevalier Ardent de nobles sentiments, un "besoin de grandeur" (titre d’un ouvrage curieux de CHARLES-FERDINAND RAMUZ, où l’auteur explique les raisons de son enracinement définitif dans son canton de Vaud, en Suisse). Mais l’héroïsme a déserté depuis lurette la bande dessinée, comme il l’avait fait bien avant dans les  œuvres des romanciers.

 

 

Ce qui frappe, chez FRANQUIN, c’est donc la virtuosité bluffante deDEMES V 19.jpg son trait, qui lui permet de donner à tout ce qu’il dessine un effet magistral, une expressivité qu’on ne trouve nulle part ailleurs. La faculté inouïe de donner une vraie forme identifiable à l’idée qui lui vient, dans le moindre détail. Prenez Monsieur De Mesmaeker, dont le portrait écumant de rage (sauf en une occasion, où il signe un contrat, mais c’est avec Gaston) parsème cette note.

 

 

DEMES V 2.jpgLa marque du grand dessinateur, c’est, entre autres, sa capacité à camper un personnage immédiatement reconnaissable (silhouette, détail vestimentaire, forme de la tête, etc.). Et ce, quels que soient son geste, son attitude, sa position dans l’image. Pour qu’il reste sans cesse lui-même, il faut l’imaginer en trois dimensions, mais aussi en dessiner de multiples études. On pense au Lucky Luke de MORRIS.

 

 

Monsieur de Mesmaeker est de ceux-là. Mais aussi, évidemment,DEMES V 14.jpg Spirou (uniforme rouge du groom), Fantasio (tête ronde à huit cheveux absolument rebelles), Gaston (pull vert et silhouette incurvée en S), etc. Gaston est le plus grand ennemi de monsieur de Mesmaeker, l’empêcheur de signer en rond. Ce n’est pas qu’il lui veut du mal, bien au contraire.

 

 

DEMES V 7.jpgLe génie de FRANQUIN est aussi d’avoir défini des forces antagonistes, résolument irréconciliables, comme source inépuisable de situations  : Gaston et la vie de bureau, Gaston et l’ordre établi (Longtarin), Gaston et le monde des affaires, (...). Entre  Gaston et Moiselle Jeanne, ce n’est évidemment pas de l’antagonisme. J’ai même eu sous les yeux une planche où FRANQUIN se lâchait, et où le garçon et la secrétaire folle de lui passent enfin à l’acte « dans les positions les plus pornographiques » (BRASSENS, Trompettes de la renommée). Pas dans Spirou, bien sûr.

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Bref, ce n’est que de la bande dessinée ! Mais dans le genre, ANDRÉ FRANQUIN, on peut dire qu’il a du génie.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

PS : pour les amateurs, je joins un extrait de pastiche de Gaston par l'excellent ROGER BRUNEL, où les contrats avec De Mesmaeker se trouvent perforés par l'ardeur déployée par notre héros pour Moiselle Jeanne.

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Ce n'est ni du français, ni du pataouète, mais s'il n'y a pas le sous-titrage, il y a au moins l'image. Ceci étant dit pour annoncer la note de demain. « Enfants voici les boeufs qui passent, cachez vos rouges tabliers ». Attention les yeux !

 

 

 

vendredi, 18 janvier 2013

ODE AU GAFFOPHONE

Pensée du jour :

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ASTANIHKYI, "COME SINGING", COMANCHE, PAR EDWARD S. CURTIS

(je salue le dernier Indien à apparaître dans cette série de photos)

 

« Le kangourou date de la plus haute antiquité. Scientifiquement, il se compose, comme l’Auvergnat, de la tête, du tronc et des membres ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Résumé : nous avions laissé Gaston Lagaffe au moment où il vient d’inventer le bien nommé GAFFOPHONE. 

 

IDEE 1.jpgCet extraordinaire instrument mérite qu’on lui consacre quelques instants. Pour le créer, FRANQUIN s’est inspiré d’une harpe africaine exposée en Belgique. Quant à l’entourage de Gaston, il peut s’attendre aux pires catastrophes, dès l’instant où passe, dans son esprit le démon qu’on appelle une IDÉE.

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Le gaffophone sort en droite ligne de ce genre d’instant privilégié. En s’inspirant d’un instrument africain, qu’il a néanmoins « perfectionné » (« au secours », disent déjà les voisins), il arrive à créer, sans amplification électrique : « Une vibration du tonnerre avec une résonance maximum ». Autant dire qu’il n’y a pas besoin d’attendre le deuxième essai pour obtenir un coup de maître concluant, dépassant même les espérances. Disons que FRANQUIN a fait inventer par Gaston un « instrument de destruction massive ».

 

GAFFO 13.jpgPeut-être même a-t-il regretté qu'il n'existât pas dans la réalité, car Spirou lança, auprès de ses lecteurs, un concours  de fabrication concrète d’instruments. Résultat : un Néerlandais envoya au journal, par le train, un engin de 125 kilos. Ce ne fut pas le seul. Pour dire son incroyable audience, mais aussi l’incroyable popularité acquise rapidement par le personnage tout à fait génial d’ANDRÉ FRANQUIN, à qui il arrive de faire du gaffophone une arme antimilitariste : il n’aime guère l’armée, semble-t-il.

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Mais tout arrive, y compris l’inimaginable : le gaffophone peut rendre service. D’accord, c’est tout à fait involontaire de la part de Gaston, mais le résultat est là, rapide, soigné, gratuit : le client est ravi, et l’ouvrier récalcitrant n’y comprend rien. Gaston est passé pas loin.

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MIEUX QUE LES ARTIFICIERS SUR LES GRANDES BARRES DE LA DUCHÈRE

La règle est tout de même, en général, le gros dégât, sinon ça ne vaudrait pas le coup. Qu’il sévisse au journal ou à la campagne, les effets sont garantis : si le son fait fuir les taupes chez le voisin, comme s’en réjouit le paysan, il ne limite pas ses effets aux taupes. 

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Il est évident que le personnel de bureau fait tout pour se débarrasser de l’instrument, mais rien à faire. Que Lebrac introduise des termites à l’intérieur, c’est tout l’immeuble qui menace de s’effondrer, bouffé par les bestioles qui n’ont pas voulu du bois musical. 

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L'EXPRESSIVITÉ DU TRAIT ABSOLUMENT VIRTUOSE DE FRANQUIN EST EVIDEMMENT UN DES FACTEURS ESSENTIELS DE L'EFFET PRODUIT

Que Fantasio fasse venir des déménageurs pour obliger Gaston à débarrasser l'immeuble Spirou, quitte à faire un cadeau au musée de l’homme, c’est d’abord susciter la curiosité amusée de ceux-ci, qui voudraient bien savoir ce que c’est, c’est ensuite faire prendre au camion de très gros risques, comme il aurait dû s’y attendre. Voici ce qui lui arrive, au camion.

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Quand arrive la 600ème planche, je veux dire la 600ème gaffe, toute l’équipe décide de fêter la rondeur du nombre atteint. MAIS Gaston ne s’en offusque qu’un court instant. ET décide de participer à sa façon à la fête, et de lui donner un certain « retentissement ». Pour l’occasion, avec ses complices Bertrand et Jules-de-chez-Smith-en-face, il décide d’électrifier les instruments de leur orchestre. Gaston, qu’on se le dise, n’est jamais à court de ressources.

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Je réserve pour la fin la planche 467, qui démontre, d’une certaine manière, le caractère intouchable du gaffophone, j’allais dire sa valeur SACRÉE. Et si Fantasio m’avait demandé mon avis, je lui aurais volontiers dit, comme EDITH PIAF disant à Manuel de ne pas y aller (N’y va pas, Manuel) : « N’y va pas, Fantasio ! ».

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Et une fois la démonstration faite, j’aurais ajouté : « Je te l’avais bien dit, de pas y aller ! ».

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ADMIREZ L'ART DU MONTAGE DES DIALOGUES.

L'ART DE L'ELLIPSE AUSSI.

Je compte ANDRÉ FRANQUIN parmi les bienfaiteurs de l’humanité, pour avoir inventé un personnage aussi inassimilable que celui qu’avait imaginé HERMAN MELVILLE en écrivant Bartleby (vous savez : « I would prefer not to »). Mais comme son versant ensoleillé, un versant éminemment jovial, positif et sociable. Exactement le contraire de ce personnage sombre, négatif et suicidaire.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 14 janvier 2013

ODE A GASTON

Pensée du jour :

 

« Nous n’avons plus le sens du pompeux. Sans quoi, comme je le faisais remarquer si justement dans ma dernière chronique, nous ferions de notre sous-préfet, tels les Mossi de la Haute-Volta, le héros d’un grand psychodrame destiné, tous les vendredis, à l’empêcher de partir pour la guerre, et qui se jouerait devant la sous-préfecture. Rien ne serait plus majestueux. Mais nous n’avons plus le sens de la cérémonie ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

Un des plus beaux héros de bande dessinée qui furent un jour inventés est, à n’en pas douter, l’énorme, l’immense, le démesuré GASTON LAGAFFE. Un personnage créé par ANDRÉ FRANQUIN, qui, après une entrée quasi-clandestine, illumina progressivement la revue Spirou de son aura au rayonnement éblouissant, à partir du 28 février 1957. 

 

Je ne vais pas refaire après tant d’autres l’éloge de Gaston Lagaffe. On ne peut plus dire du bien de Gaston Lagaffe. Je le dis clairement : il est désormais impossible d’ajouter quelque fétu que ce soit à la meule, que dis-je, à la montagne des hommages. Le fétu serait perdu comme l’aiguille dans la botte de foin.

 

Je ne viens pas au secours d’une ambulance. Je viens ici déposer mon gravier au pied du monument, comme j’ai vu les mots hâtifs tracés sur des bouts de papier lestés d’un petit caillou couronnant en majesté la belle tombe, toujours pieusement et nombreusement visitée, du poète espagnol ANTONIO MACHADO à Collioure.

 

Gaston, on me dira ce qu’on voudra, au bout de trois planches, il me dilate déjà les viscères, au bout de cinq (j’aime les nombres impairs), je suis plié en deux (zut, c'est un nombre pair). Au bout de sept, je n’en peux plus, je demande grâce. La première vertu zygomatique de Gaston est dans l'ingéniosité qu'il met en oeuvre pour aboutir à la SIESTE. La deuxième vertu de Gaston est dans la GAFFE, bien évidemment. La troisième vertu de Gaston est l’INVENTION, si possible improbable. Les vertus 2 et 3 découlent souvent l’une de l’autre.

 

Qu’on se le dise : le rêve de tout homme honnête avec lui-même est dans l’inaction consécutive à la décision de faire une bonne sieste. La sieste, en plus d'être une soustraction aux activités du monde, est un désordre. Gaston y est comme un poisson dans l’eau.

 

Et comme un grain de sable dans la machine productive, qu’il fasse un reportage au zoo ou qu’il fasse rissoler on ne sait pas bien quoi (peut-être des sardines à la confiture de fraise) au fond d’une caverne creusée au cœur des archives de Spirou, en compagnie de son transistor, de son chat et de sa mouette rieuse, dans l’harmonie parfaitement régressive d’un ventre maternel d’un nouveau genre.

 

Le grain de sable agit en général seul, car c’est son seul esprit qui prend l’initiative des catastrophes, mais FRANQUIN ne rechigne pas à l’assortir de divers complices. Je viens d’en citer deux, mais il y a aussi Jules-de-chez-Smith-en-face et Bertrand qui viennent prêter leur savoir-faire en la matière. A eux cinq, ils représentent à peu près la puissance de feu du porte-avions Enterprise, fleuron de l’US Navy. 

 

Autour de notre grain de sable explosif, une pléiade de personnages dansent une sarabande endiablée. D’abord ceux qui se définissent comme « hors-Spirou », au premier rang desquels l’agent Longtarin (sujet principal : une voiture improbable, jaune et noire) et M. de Mesmaeker (sujet principal : des « contrats » qui resteront à jamais jamais signés). Les avanies que leur fait subir Gaston (jamais dans une mauvaise intention, notez-le) ne se comptent plus.

 

Plus en retrait, les talents de Gaston s’exercent aux dépens de l’armée, dont les scrogneugneus sont toujours présentés de façon à ce que les dégâts qu'il leur occasionne apparaissent comme une manifestation de la justice immanente. Mais on voit aussi son ingéniosité à l’œuvre quand il va à la campagne ou à la plage (pauvres lapins, quand même !).

 

Quant à l’équipe de Spirou, qui constitue le centre des principales victimes des bonnes intentions de Gaston, on s’intéressera en priorité à Fantasio, Prunelle, Lebrac, Bertje, Monsieur Boulier, quelques autres, plus intermittents (la femme de ménage aux prises avec la mallette antivol imaginée par notre héros). Je situe à part Moiselle Jeanne, qui en pince méchamment pour notre anarchiste à tout faire. Le champ d’épandage des gaffes semble, sous le crayon d’ANDRÉ FRANQUIN, extensible à l’infini.

 

L’invention, chez Gaston Lagaffe, est permanente, tous azimuts et portée à incandescence. Au premier plan de la photo des créations catastrophiques de notre garçon de bureau préféré, j’ai tendance à placer un instrument de musique, encore qu’on ne sache pas très bien, au sujet de ce qui sort du dit instrument, s’il s’agit de musique ou d’un tremblement de terre. Les amateurs ont déjà reconnu le GAFFOPHONE.

 

Un instrument naturel qui fait des dégâts démesurés par rapport à ses capacités physiques. Gaston a inventé le seul instrument exponentiel au monde. Mais le personnage lui-même est exponentiel. Il s'appelle  GASTON LAGAFFE.

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 10 janvier 2013

MAIS QUELLE ETAIT LA QUESTION ?

Pensée du jour :

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AATSISTA MAKHAN, BLACKFOOT

« Un vent aigre balaie les rues. Le Soleil est entré dans le Bélier. Les enfants qui naissent sous ce signe feront bien d’éviter les tournois. L’astrologue les leur déconseille. C’est déjà le moment de fumer les vieux houblons et de planter la griffe d’asperge. Voire de semer la lupuline. Bientôt l’hirondelle va revenir ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

Est-ce que le pou se pose la question : « Est-ce que j’existe ? » ? Non, il se contente d’exister. S’il a une tête, on ne sait pas vraiment ce qu’il a dedans. Il vit sa vie de « pou de la reine, pou de la reine, pou de la reine, le roi Ménélas » (JACQUES OFFENBACH). Y a-t-il des reines chez les poux ? Cela n’est pas prouvé, à l’heure ou nous parlons. Cela n’empêche nullement d’affirmer que l’insecte est un problème. 

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Je crois qu’on peut savoir gré à ANDRÉ FRANQUIN d’avoir résumé le problème dans une page de Gaston Lagaffe. Gaston, qui doit s’occuper d’un petit tout un après-midi, raconte à celui-ci l’histoire suivante : « Chez les papous, il y a les papous à poux et les papous pas à poux. Mais chez les poux, il y a les poux papas et les poux pas papas. Donc chez les papous, il y a les papous à poux papas et les papous à poux pas papas ». Tout comme ça.

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On voit par là (merci pour la formule, monsieur VIALATTE) que la vie est une succession d’aiguillages, de subdivisions, de voies divergentes dont on se rend compte qu’on les a quittées quand on se trouve embarqués dans un bateau qu’on n’a finalement pas si librement choisi qu’on voudrait nous le faire croire. 

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Aiguillages ou pas, on est toujours sur ses rails. Pas vrai ?

 

 

En tout cas, voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 25 novembre 2012

DIS-MOI COMMENT TON COQ CHANTE

Pensée du jour :

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"IDEOGRAMME PIETON" N°49

 

« Le sassafras semble bien être, à première vue, comme le frangipanier ou même le chilognathe, quelque salsifis tropical plus ou moins dicotylédone, impropre à l'alimentation, mentionné quelque part par Bernardin de Saint-Pierre. Connu seulement des pharmaciens. Et fait pour être utilisé à la césure dans quelque poème de Baudelaire en raison de son feuillage palmé, ornemental et disposé en éventail autour d'un stipe ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

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Très tôt, j’ai été frappé par une bizarrerie : tous les coqs de la Terre se comportent de la même manière. Leur chant est identique, que l’on soit en Europe, en Amérique ou au Japon. Et pourtant, ils produisent des sons qui n’ont rien à voir entre eux. Apparemment. Du moins si l’on regarde leur traduction graphique. Et rien n’est plus curieux que la façon dont les oreilles, dans chaque langue, entendent ce qu’elles sont, dirait-on, seules à entendre de cette façon.

 

 

Des coqs, j’en ai entendu des tas, par exemple quand j’allais avec FRANÇOIS (on nous appelait "les Dupondt") chez le père PIC ou chez JOSEPH et MARIE. Chez ces derniers, c’était pour lancer sur les deux énormes cochons de l’enclos de pierre sèche les petits cailloux les plus aigus possibles, pour le seul plaisir d’entendre les bruits qu’ils faisaient alors : je le dis nettement, on ne peut pas appeler ça des chants.

 

 

Même chose, d’ailleurs, quand ils sentaient qu’on venait pour verser, de l’extérieur, dans leur auge (un évidement creux pratiqué dans l’épaisseur du mur) la marmite de soupe, soupe dans laquelle ils plongeaient les pattes les premières. Le cochon ne chante pas. Il paraît que c’est prouvé. C’est sans doute pour ça qu’on ne lui demande pas de réveiller la basse-cour au lever du soleil et qu’on n’en a jamais mis au sommet de nos clochers d’église, où il aurait pourtant, à coup sûr, fait merveille, n'en doutons pas. J'imagine le tableau, non sans un certain contentement.

 

 

La vache ne chantait pas non plus, le soir, quand on allait, FRANÇOIS et moi, boire le lait bourru, après la traite (c’est là que j’ai appris à traire la vache, soit dit en passant). Mais là, plus de coq, évidemment.photographie,alexandre vialatte,littérature,coq,zoologie,basse-cour,cocorico,campagne,poule,chant du coq,chant,musique,langues,florence foster jenkins,serge gainsbourg,chanson,comic strip,bande dessinée,blake et mortimer,edgard pierre jacobs,ep jacobs,jean graton,michel vaillant, Et s’il est vrai que certaines sopranos chantent pire que des  vaches (il est indispensable d’avoir entendu au moins une fois dans sa vie FLORENCE FOSTER JENKINS), il n’a encore jamais été constaté que l’inverse soit vrai.

 

 

Je ne sais plus où ni quand j’ai nourri un désir de meurtre sur un coq capable de pousser la chansonnette autour de 2 heures du matin. C’était souvent, en tout cas. Je vous jure, on a beau dire que le coq est l’oiseau du matin, qu’il annonce le lever du soleil, j’affirme qu’il n’en est rien. Le coq est un animal imbécile, en général complètement déréglé, dont le chant avance ou retarde sur le lever de soleil d’une façon à rendre cinglé le plus humble des métronomes.

 

 

Il reste que, en ce qui concerne le chant du coq, les langues du monde constituent une belle preuve que la Tour de Babel n’est pas seulement le récit mythique d’un prophète biblique inspiré, mais une réalité tangible et irréfutable. Disons le mot : c’est la cacophonie. Pas un coq issu du peuple coq ne parle la même langue que ses confrères, s’ils ont eu le malheur de naître sous d’autres cieux que lui. C’est même à ça qu’elle sert, la Tour de Babel des gallinacés.

 

 

Soyons un instant sérieux : tout bruit est traduit, en parole ou en écriture, par ce qu’on appelle une « onomatopée ». C’est ce que l’ingénieux et pitoyable SERGE GAINSBOURG a tenté de faire dans sa chanson « Comic strip » : « Shebam », « Pow », « Blop », « Wizz ».

 

 

La Bande Dessinée s’en est donné à cœur joie, avec, par exemple, des « Smack » (= gifle, mais aussi gros baiser qui s’entend) en gros caractères pour souligner la force du coup de poing donné (« I will smack your face », dit le gros Sharkey au professeur Mortimer, dans je ne sais plus quel Blake et Mortimer, peut-être SOS Météores), et des « Sob » (= sanglot) pour exprimer la tristesse du personnage.

 

 

Notons qu’une fois importé dans la Bande Dessinée française, le « Smack » désigne drôlement le bruit du baiser tendrement échangé par les deux amoureux. Certains dessinateurs ont même fait proliférer l’onomatopée sur l’image jusqu’à en faire une marque de fabrique, comme JEAN GRATON dans sa série Michel Vaillant, où l’on ne compte plus les VROARR envahissants (voir ci-dessous). 

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Chaque langue s’ingénie donc à transcrire le chant de SON coq. Passons rapidement sur le « Co Co Co », proféré (peut-être : le sujet est controversé) par le coq chinois, qui ne mérite que d’être mentionné. Plantons un orteil en terre islandaise. Que chante le coq sur son fumier volcanique ? Rien d’autre que « Gaggalagaggalago » (sept syllabes !). Ses cousins scandinaves font des « kuckeliku » en Suède et des « kykkeliky » au Danemark.

 

 

Il est important de noter que, si les coqs hollandais et flamands chantent à coups de « kukeleku », le voisin wallon marmonne un drôle de « coutcouloudjou » : on voit par là que la mésentente qui risque de fracturer la Belgique se glisse jusque dans les détails triviaux de la volaille. Le Roumain nasillonne un drôle de « cucuriguuu », alors qu’en face, le voisin turc susurre ses « U-urru-U ».

 

 

Si l’on s’éloigne de nos parages en direction de l’est, on croisera d’abord le « coucarekou » des coqs russes avant de déboucher, au choix, sur le « kokekoko » des volatiles japonais ou sur l’extravagant « ake-e-ake-ake » des coqs thaïs. A-t-on idée ? Ou encore sur l’acceptable « kukuruyuk » qu’on entend dans la cour des fermes indonésiennes.

 

 

Mais pour clore cette petite revue linguistique des onomatopées gallinaciformes, j’ai gardé l’abracadabrant, le considérable, le déraisonnable chant du coq irlandais. Je le donne comme je l’ai trouvé : à la lettre près. Il consiste en la prononciation distincte d’un impossible : « Mac na hoighe slan ». C’est à n’y pas croire. J’attends qu’on me détrompe. On ne me fera pas croire que des coqs qui poussent à tue-tête des « Mac na hoighe slan » puissent être considérés comme européens.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NB : après avoir un peu fureté sur internet, je constate qu'il s'avère qu'on ne peut faire confiance à personne, et que les transcriptions qu'on y trouve prennent systématiquement (en dehors de quelques classiques aussi constants qu'incontestables et irréfutables) la couleur, la résonance et la consistance de l'imagination de celui qui s'exprime.

 

 

J'en conclus, hélas, que nous en sommes réduits, pour cerner avec un minimum d'espoir d'exactitude le chant du coq, à des conjectures aussi incertaines que celles que font les logiciens qui cherchent, dans la rigueur logique des enchaînements de propositions, des preuves de l'existence de Dieu. JESUS ne dit-il pas : « Je te le dis en vérité : cette nuit-ci, avant que le coq ait chanté, trois fois tu me renieras » ? Alors si JESUS lui-même en personne le dit ...

 

 

dimanche, 18 novembre 2012

BD ET LIBERTE D'EXPRESSION

Pensée du jour :

S36.jpg

"SILHOUETTE" N°36

 

« L'oiseau a quelque chose d'étrange. Il fait des choses extraordinaires : l'urubu nettoie les poubelles, l'agami surveille les poulets,le gypaète est barbu, l'albatros pond des oeufs dont le petit bout est aussi gros que l'autre (et l'autre aussi petit que le premier), la huppe pupule, le milan huite et le rhinocéros barète (encore n'est-ce pas un véritable oiseau) ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

 

Quand la BD devint « pour adultes » et mensuelle, j’ai encore suivi le mouvement. Ce furent Charlie (mensuel), Métal hurlant, Circus, A suivre, Pilote (mensuel), Fluide glacial (qui paraît toujours, mais bon, je me suis fatigué). HKH94 1970.jpgEt tout ça depuis le n° 1 jusqu’au dernier (enfin, pas toujours). Ça me fait encore des piles presque jusqu’au plafond, rien qu’avec ce que j’ai gardé, pour vous dire. Il va de soi que j’ai suivi Hara Kiri hebdo jusqu’à l'ultra-célèbre et immortel « Bal tragique à Colombey : 1 mort » (16 novembre 1970), et Charlie hebdo qui lui a immédiatement emboîté le pas, après l'interdiction pour crime de lèse-DE GAULLE.

 

 

Je garde une tendresse pour des revues plus éphémères de cette époque, parce qu’elles faisaient souffler un vent de liberté devenu totalement inimaginable aujourd’hui. Personne, à part le ministre de l’Intérieur, n’aurait alors eu l’idée de faire à sa place la police des moeurs ou  la police de la pensée : aujourd’hui, les flics de toute obédience (sous couvert d’ "associations" religieuses, sexuelles, raciales…) font régner leur intolérance. Attention, c’est parti pour une petite parenthèse !

 

 

Dans les médias (je veux dire tout ce qui est de l’imprimé, du son ou de l’image fixe ou animée), c’est le CURÉ qui a pris le pouvoir et revêtu l’uniforme du FLIC augmenté du Père Fouettard : le CURÉ RELIGIEUX (TOUS les prêtres, imams, rabbins), le CURÉ RACIAL (TOUTES les associations antiracistes), le CURÉ SEXUEL (TOUS les hétérophobes dénonciateurs de « phobies » qu’ils fabriquent pour les besoins de leur « cause », je ne vois pas pourquoi je n’en inventerais pas à mon tour). Quel nouveau PHILIPPE MURAY inventera un anticléricalisme à la hauteur de cette agression de tous les azimuts et de tous les instants ?

 

 

Ce n’est plus « Big Brother is watching you » (1984), c’est l’œil omniprésent du « curé punisseur » qui, telle une caméra de surveillance universelle, vous guette à tous les coins de rue pour vous envoyer en correctionnelle si vous avez la mauvaise idée de lever le doigt pour dire ce qui vous semble être de bon sens, par exemple au sujet du mariage et de l’adoption homosexuels.

LEMONDE 18.jpg

LA PROPAGANDE DES ANTI-LIBERTÉ A LE VENT EN POUPE :

J'APPELLE ÇA CRIMINALISER LA VIE SOCIALE

(Le Monde, dimanche 18 - lundi 19 novembre 2012)

Une intolérance qui se couvre du manteau de la « tolérance » et du « respect » (GEORGE ORWELL appelait ça la novlangue : « L’esclavage, c’est la liberté »), pourvu qu’ils en soient les seuls bénéficiaires. Une intolérance qui se couvre par ailleurs (mais ça va avec) de l'indispensable tunique de la VICTIME. Et le crime qui crée la victime, aujourd’hui, s’apparente presque toujours à la « discrimination », et concerne le plus souvent les gens à couleur de peau exogène, ou à sexualité marginale, ou encore à religion importée. La race, le sexe, la bondieuserie. Le tiercé gagnant.

HK195 1977.jpg

COMMENT CROYEZ-VOUS QUE LES "ASSOCIATIONS" (LGBT OU RELIGIEUSES)ACCUEILLERAIENT CETTE COUVERTURE AUJOURD'HUI ?

(décembre 1977) 

Je vais te dire : fais un beau mélange de tout ça, et tu as le magnifique couvercle d’un magnifique ORDRE MORAL qui s’abat sur toi pour te cuire à l’étouffée. Même Charlie-Hebdo (attention, celui ressuscité par PHILIPPE VAL en 1992, qui n’a pas grand-chose à voir avec le premier, né en 1970), fait un pet de travers tous les 36 du mois par peur des bombes et des procès, et quand il le fait, la merde n’est jamais bien loin, prête à exploser. C'est bien le signe que des forces de l'ordre (racial, sexuel, religieux) convergent et se coalisent contre l'expression libre, non ? De quel côté est-elle, l'intolérance ?

 

 

Ce « meilleur des mondes », PHILIPPE MURAY l’appelait l’ « envie de pénal ». Moi qui n’ai pas la classe du grand PHILIPPE MURAY, je me contente de l’appeler « curé punisseur ». C’est le même uniforme gris. Mais même les nobles imprécations de PHILIPPE MURAY n’ont pas suffi à empêcher le flot malodorant des hordes de gendarmes « antiracistes », « antisexistes », « antihomophobiques », « anti-islamophobiques » de tout submerger.

REVUE AH NANA.jpg

UNE REVUE PUBLIEE PAR DES FEMMES FEMINISTES (septembre 1978, dessin LIZ BIJL)

COMBIEN DE BOUCLIERS LEVÉS ET DE PROCES, SI C'ETAIT AUJOURDHUI ????

Je reviens à mes revues de BD plus éphémères. Pour dire ce qu'était la liberté d'expression à l'époque, je montre quelques couvertures. Parmi les comètes, je citerai Ah ! Nana ! : 9 numéros, avec la géniale NICOLE CLAVELOUX (ah ! son extraordinaire Alice au pays des merveilles) et l’austère CHANTAL MONTELLIER, un féminisme pas encore coincé dans un intégrisme « genriste » à la JUDITH BUTLER. Je citerai Surprise (5 numéros), publié par le dessinateur actuel de Libé, WILLEM, avec une curieuse BD, Ici, on ne nous voit pas.

REVUE MORMOIL BARDOT.png 

Je citerai Mormoil, avec la couverture magnifique du n°3 et sa superbe BRIGITTE BARDOT en prototype, archétype et modèle de l’idiote, croquée par MORCHOISNE, en train de dire : « Mords-moi le quoi ? ». Je citerai Tousse-Bourin, qui a révélé CABANES, Le Canard sauvage, avec DESCLOZEAUX, qui loue aujourd’hui ses services aux chroniques gastronomiques du Monde.

REVUE CRI QUI TUE.jpg

VOUS AVEZ NOTÉ : HONORABLE REVUE DE BANDES DESSINEES EXOTIQUES

Je citerai Piranha, Le Cri qui tue, la revue d’ATOSS TAKEMOTO, qui me permet d’affirmer que j’ai été parmi les premiers lecteurs de mangas publiés en France, longtemps avant que ça s’appelle « manga ». Je citerai enfin Virus, et une pléiade d’autres (Carton, Microbe, Aïe, Le Crobard, on n’en finirait pas, et je ne parle que de ce que j’ai connu), encore plus éphémères.

 

 

Ce n’était pas le « bon temps », c’est sûr, et je n’ai pas de nostalgie. J’observe juste une drôle d’inversion des rôles entre le politique et le sociétal : ce qui était politique était tabou aux yeux du pouvoir et toute incartade réprimée, alors que ce qu’on n’appelait pas encore le « sociétal » (autrement dit « les mœurs ») était laissé totalement libre (enfin, quand je dis "totalement", il s'en faut de beaucoup ...).

 

 

Aujourd’hui, c’est l’inverse : des hommes politiques et de l’ordre social, vous pouvez dire absolument tout ce que vous voulez, et même n’importe quoi, ça fait comme la pluie sur les plumes du canard (il n’y a plus de politique, il n’y a plus que de la « com », et les « susceptibilités » se sont muées en édredons et matelas pour abriter l'amour-propre devenu invulnérable, parce qu'inexistant, pour cause d'absence radicale de convictions).

 

 

Au sujet du « sociétal » (qu’on a cessé d’appeler les « mœurs »), en revanche, l’armée des CURÉS PUNISSEURS (religieux et sexuels et raciaux) se charge de vous fermer la gueule (regardez : même Libé se fait attaquer pour son titre sur BERNARD ARNAULT : « Casse-toi, riche con ! ». Pour une fois qu'ils étaient drôles !).

 

 

 

Moi, j'admire le peuple norvégien pour son attitude exemplaire après les atroces meurtres d'ANDERS BERING BREIVIK, et je vomis les loups qui ont déchiré en effigie RICHARD MILLET après la parution de son brûlot - ANNIE ERNAUX, JEAN-MARIE-GUSTAVE LE CLEZIO et TAHAR BEN JELLOUN venant tout à fait en tête -, ils méritent de retourner se réduire en la bouillie moralisatrice et policière d'où ils n'auraient jamais dû sortir pour empuantir l'air des hommes libres !!!

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 17 novembre 2012

BANDE DESSINEE : L'ÂGE D'OR ?

Pensée du jour :

GRILLE 6.jpg

"GRILLE" N°6

 

« Le bonheur date de la plus haute antiquité. (Il est quand même tout neuf, car il a peu servi) ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

L’un de mes plus beaux souvenirs de bande dessinée n’est pas une image, c’est une phrase : « Ta médiocre beauté ne m’a déjà que trop gâché l’aube naissante ». Ça c’est du texte. CUVELIER 12.jpgEt du littéraire, s’il vous plaît. Pour l’éventuelle élite des amateurs authentiques, je le déclare : la phrase est tirée d’Epoxy, une Bande Dessinée de PAUL CUVELIER, où l’auteur s’en donne à cœur joie avec la mythologie grecque. Mais il s’en donne aussi à cœur joie avec le corps féminin, pour lequel il ne cache pas un penchant irrésistible qui mérite notre sympathie (purement esthétique, s’entend !).CUVELIER P.jpg

 

 

C’est Aphrodite en personne qui s’adresse à l’héroïne de PAUL CUVELIER, dans ce livre où l’action semble se dérouler sous les tropiques, vu la façon dont toutes les femmes sont habillées. Enfin, quand je dis « habillées », c’est une façon de parler. En réalité, c’est une belle œuvre qui offre au dessinateur le prétexte de déclarer son amour aux formes féminines, qu’il représentait, avec une tendresse visible, dans une sorte d’infini de variantes posturales, sans jamais donner prise à la plus légère once de vulgarité.

CUVELIER 3.jpg

EPOXY CHEZ LES AMAZONES, C'EST VIOLENT, MAIS PAS TOUT LE TEMPS 

 

Sans aller jusqu'aux coquineries d'un DANY, qui s'est fait une spécialité du dessin d'humour érotique, je citerai, dans le même genre d'amoureux du corps féminin, le dessinateur TAFFIN, en particulier un fascicule intitulé Fume...c'est du Taffin (Kesselring, 1976). Tout n'est pas très bon, c'est vrai, ça sent son côté gentillet des années 1970, flower power, peace and love (que GOTLIB, me semble-t-il, écrivait d'ailleurs "pisse and love", accompagné de "phoque and chite" dans un des premiers numéros de L'Echo des savanes).

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J'en retire cependant deux images : l'une est un dessin (ci-dessus), l'autre est une photo (ci-dessous). Le dessin semble caresser les contours du personnage. Quant à la photo, elle représente CAROLE LAURE (photographiée par DUSAN MAKAVEJEF) en train de prendre un délicieux bain de chocolat.

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Tout ça pour dire que j’ai été fan de Bande Dessinée. Cela m’a passé, mais pendant longtemps, je me suis shooté à l’hebdomadaire (Spirou, Tintin, plus tard Pilote, au temps de leur splendeur), et à l’album (quand il n’en paraissait pas plus de 150 par an, cela restait dans mes moyens). Tout ce qui sortait, ou à peu près. J’étais « accro », il me fallait ma piquouse sous peine de manque. Maintenant, il en paraît 1500 chaque année, comment voulez-vous ?

 

 

C’était quand la bande dessinée appartenait à la catégorie des « loisirs populaires » (expression à prononcer avec une nuance de mépris, si l’on veut être « à la page »). Le cas ressemble un peu à celui de l’opérette. Car il fut un temps où l’Opéra de Lyon était encore indemne du virus du snobisme culturel et de l’exaltation lyrique de « faire moderne ». 

 

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C’était avant que des « experts » et « spécialistes » de BD autoproclamés de tout poil ne posent leur patte sur ce qui était à leurs yeux un « marché prometteur » et un « créneau porteur » pour donner un petit air « moderne » à tout ça et « faire sortir la BD du ghetto enfantin ». C'était avant que la BD passe du plaisir du « loisir populaire » à la consommation du « loisir de masse ». Passage qu'on peut situer autour de 1980.

 

BDM 1983.jpgPour vous dire, c’était avant que, une fois que le « marché » eut tenu ses promesses, messieurs BERA, DENNI et MELLOT n’entreprennent (c’était en 1979) d’inventorier non seulement tout ce qui paraissait de BD année après année, mais aussi tout ce qui avait paru depuis les origines (1805, d’après eux, avec le Robinson Crusoëd’un certain DUMOULIN, mais je conteste – voir ma note d’hier).BDM 2009.jpg

 

Dans le milieu, tout le monde connaît désormais l’incontournable et indispensable BDM –  véritable bible baptisée « argus officiel » – qui paraît revu et corrigé tous les deux ans, et qui vous donne la « cote » d’absolument tout ce qui a été publié depuis 1805, c’est vous dire le sérieux de cette entreprise florissante.

 

 

Vous apprenez ainsi que si vous avez l’originale du Guêpier de DANIEL CEPPI (1977, Editions Sans Frontières), votre capital est de 30€. Mais il faut savoir que l'album a connu un curieux pic dans les années 1980, puisqu’il est bizarrement monté, pendant un temps, à 600 francs, avant non pas de s’abouser, mais de redevenir normal (voilà que je parle comme un vulgaire HOLLANDE, moi, il va falloir surveiller ça). C’est un exemple parmi des milliers d’autres.

 

 

Moi je m’en fiche, de toute façon : je ne suis pas collectionneur. Ainsi, pour vous dire combien je suis bête, j’avais acheté 150 francs, à la librairie Expérience, une petite échoppe de la rue du Petit David, tenue par ADRIENNE (l'adorable ADRIENNE KRIKORIAN), une édition en sérigraphie de Capitaine Cormorant, de l’immense HUGO PRATT, numérotée et tout, magnifiquement et grassement encrée. Dans le BDM ? Il cote 850€ ! 

PRATT CORMORANT.jpg 

Moi, je l’ai revendu (je ne vous dirai pas combien) pour acheter d’autres nouveautés. Pareil pour les deux Corto Maltese de chez Publicness (respectivement 3000 et 500€). J’étais trop curieux des nouveautés pour collectionner. Plutôt cigale que fourmi, si vous voyez. Le plaisir de découvrir plutôt que le souci de posséder pour accumuler.

 

 

Par-dessus le marché, pour être un bon collectionneur, il faut savoir ce qu’on veut, faire un choix, car il n’y a pas de cumul des mandats possible (vous voyez ce que je veux dire ?), et c’est un métier à plein temps (un « full time job », comme refusent de dire les hommes politiques français, si soucieux de rester pas trop nombreux pour se partager profitablement le gâteau des responsabilités).

 

 

Ce n’est donc jamais le « marché » qui m’a guidé. C’est pour dire combien je suis un être désintéressé. Pas un pur esprit, mais pour ainsi dire, quoi !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 16 novembre 2012

UNE BANDADE DESSINEE ?

Pensée du jour :

AFFICHES 2.jpg

"STRATIGRAPHIE" N°2

 

(16 août 1914) « Une carte du théâtre de la guerre que j'ai sous les yeux ne fait aucune mention de Vaucouleurs et de Domrémy, entre Bar-le-Duc et Nancy. Il eût été à propos et combien patriotique ! de marquer ces deux localités ».

 

LEON BLOY

 

 

TEMPLE 4.jpgBon, avec le capitaine Haddock (voir hier) en bonhomme boule de neige qui débaroule une pente, images qu’on trouve dans Le Temple du soleil (à la page 33, soyons précis), on a compris qu’HERGÉ a « puisé » (pour être gentil) l’idée dans Les Malices de Plick et Plock,PLICK 4.jpg de l’ancêtre CHRISTOPHE qui, sous son vrai nom de GEORGES COLOMB, enseigna sérieusement les sciences naturelles à Paris, après de brillantes études (Normale Sup). C'était au début du vingtième siècle.

 

 

Sous son pseudonyme - CHRISTOPHE -, il écrivit et dessina – moins sérieusement, mais d’un certain côté beaucoup plus sérieusement, puisqu’on en parle encore – quatre chefs d’œuvre de ce qu’on appelait encore « histoires dessinées », j’ai nommé L’Idée fixe du savant Cosinus, La Famille Fenouillard, Les Facéties du sapeur Camember, auxquels s’ajoute le volume déjà cité. Il importe de connaître tout ça par coeur, comme on pense !

COSINUS 2.jpg 

Cosinus était le sobriquet dont quelques malveillants affublèrent le brave Zéphyrin Brioché lorsque, après une enfance batailleuse et fouettée, il devint brillant professeur à l’Ecole des tabacs et télégraphes (aussi vrai que je le dis !!!), une fois sorti de Polytechnique. Sa caractéristique ? En un mot, plus distrait, tu meurs. Cosinus est le parangon du DISTRAIT absolu.

COSINUS 3.jpg 

Mais les gens sont méchants : en fait, disons plutôt que, quand il était absorbé, plus rien d’autre au monde n’existait, comme le montrent les première et dernière vignettes du petit récit ici rapporté. Mais il me vient l’idée que Cosinus mérite une note entière à lui tout seul, de même que Fenouillard. Quant à Camember, je l’ai naguère évoqué ici même (cf. « N’oubliez pas La Bougie du sapeur », 29 février 2012). Ce n'est donc que partie remise.

COSINUS 4.jpg 

Avec ses « histoires dessinées », CHRISTOPHE est resté fidèle au legs du Suisse RODOLPHE TÖPFFER, qui demeure l’inventeur de la forme, avec Histoire de monsieur Jabot ou Les Amours de monsieur Vieux Bois TÖPFFER VIEUX BOIS 1.jpg(et quelques autres), autour des années 1830. On a déniché depuis un Robinson Crusoë d’un certain DUMOULIN, publié en 1805, et que certains n’hésitent pas à qualifier de « première bande dessinée de l’histoire ». 

COSINUS 1.jpg

LE DEFI EST EVIDEMMENT D'APPRENDRE PAR COEUR LE MOT EN ITALIQUES

(je vous le récite quand vous voulez)

Ces 150 gravures formant une « suite narrative », sorties d’on ne sait quelles oubliettes, ne sauraient faire illusion. A ce compte-là, autant qualifier d’ancêtre au carré JEAN-CHARLES PELLERIN, fondateur en 1796 de la société qui portait son nom, et qui est resté dans l’histoire comme l’inventeur des très célèbres « images d’Epinal ». Le temps de la grotte CHAUVET, avec ses bisons et autres lions rupestres, qu’il faudrait considérer  comme les Adam et Eve de toute bande dessinée, n’est pas loin. Mais Néandertal (enfin, à la rigueur, Sapiens Sapiens) auteur de BD, pourquoi pas, après tout ?

EPINAL 1.jpg

PLANCHE SORTIE DES ATELIERS PELLERIN

(dites-moi si ce n'est pas de la bande dessinée, si vous osez!)

On a donc compris que tout emprunt n’est pas qualifiable de plagiat : l’histoire de la musique est pleine d’emprunts, dont un nombre infime méritent qu’on inflige la flétrissure du plagiaire à ce que son infirmité créatrice a eu l’audace de présenter comme nouveau et personnel. Tous les musiciens, tous les peintres, tous les poètes ont rendu hommage à tel ou tel de leurs devanciers.

 

 

La morale de l’histoire ? Dis-moi qui t’a plagié, et je te dirai si tu es un génie. Moi, si un jour MICHEL-ANGE me plagie, je vous assure que je ne dirai rien ! Et ceci n’a rien à voir avec le pur et simple vol d’idées, auquel ont pu se livrer impunément je ne sais quels "BHV" et autres hommes d’affaires, qui ont fait l’erreur de se prendre pour des penseurs, voire des hommes d’action.

 

 

Personnellement, je serais la personne en question, je traînerais en diffamation celui qui a osé me traiter de Bazar de l'Hôtel de Ville. Il y a jurisprudence : le type, sur son quai de gare, quelque part dans le sud, qui a crié face aux CRS : « SARKOZY, je te vois », il en avait quelque part, mais surtout, la correctionnelle l'a purement et simplement relaxé. SARKOZY n'étant (hélas) pas considéré comme une insulte. Reste que je n'aimerais pas du tout être traité de "HOLLANDE".

 

 

On a aussi compris que la Bande Dessinée constitue l’une des bases sur lesquelles se sont édifiés le bric et le broc (pour ne pas dire La Rubrique-à-Brac, merci GOTLIB) de la construction qui me sert de bicoque baroque, intellectuelle et culturelle.

 

 

 

Quelqu’un qui ne connaîtrait rien des "Histoires de l’Oncle Paul" serait dans l’incapacité de comprendre la valeur nutritive de simples « histoires dessinées », quand elles n’ont pas l’invraisemblable prétention d’inventer je ne sais quelle « littérature » innovante, quand elles ne consistent pas à enfermer le lecteur dans d'interminables fantasmes vaguement spatiaux, carrément fantastiques et bourrés d'armes terrifiantes, de véhicules miraculeux, de créatures improbables et de véritables bombes sexuelles en série tenant lieu de personnages féminins.

 

 

 

Je vous parle d'un temps où les raconteurs d' « histoires dessinées » se contentaient de raconter le mieux possible de bonnes « histoires dessinées ». Je vous parle d'un temps où la bande dessinée ne se poussait pas du col et ne se voulait pas plus que, finalement, elle est : une littérature de divertissement à l'usage des plus jeunes. Je vous parle d'un temps où la Bande Dessinée ne cherchait pas à BD plus haut que son QI.

 

 

 

Le triomphe de la BD comme « genre littéraire » a des parfums d'infantilisation rampante des esprits. Je range dans le même « genre » la promotion des jeux vidéo, dans le journal Libération, au rang de rubrique à part entière. Et d'une façon plus générale, je me dis que l'imprégnation des esprits par l'omniprésence obsessionnelle de l'image n'est pas étrangère à la régression de l'état d'adulte à des stades antérieurs. Et c'est un ancien bédéphile averti qui le dit !

 

 

 

Les guetteurs et les prédateurs de « parts de marché » sont devenus légion. Ils ne reculent devant rien pour promouvoir la "valeur culturelle ajoutée" et le caractère définitivement irremplaçable d'une "intellectualité" allant jusqu'à l'artisterie de "salon" (de la BD, cela va sans dire, où les gogos spéculateurs sont priés de faire la queue pour avoir leur petit dessin d'auteur en page de garde). 

 

 

L'imaginaire contemporain est décidément aussi régressif et insatiable que blasé.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 15 novembre 2012

PLICK ET PLOCK CHEZ TINTIN

 

On ne discute plus d’HERGÉ, de nos jours. Le monde entier connaît les aventures de Tintin, reporter au Petit Vingtième. Tout le monde le sait, Tintin et Milou sont des totems adulés dans les villages du Congo, des justiciers détestés dans les gangs de Chicago, d’indéfectibles amis de Tchang dans les solitudes altières du Tibet. Comme on a dit : « Verdun, on ne passe pas ! », on peut dire : « Tintin, on ne touche pas ! ». Et ce n’est pas moi qui vais commencer à débiner la marchandise. 

 

Il y a un culte de Tintin qui, ne le nions pas, s’est répandu à travers le monde. On peut ajouter que certains commerçants avisés ont su mettre à profit la mode des « produits dérivés » pour améliorer l’état de leur compte en banque. A cet égard, je pense qu’on pourrait dire à bon droit que Tintin est le premier « blockbuster » de l’histoire, puisque les premières fusées XFLR-6 vendues dans le commerce (vous savez, le damier rouge et blanc, ça, c’était de la « com ») doivent remonter aux années 1950. Enfin, je n’en sais rien. 

 

Je ne suis certes pas « tintinolâtre », mais je peux me dire à bon droit « tintinophile », ayant, dans le temps, lutté victorieusement contre des individus qui croyaient pouvoir m’en remontrer dans la connaissance des détails. Mais ces temps épiques appartiennent au passé, et j’avoue que le goût du bachotage tintinesque, alors pratiqué en vue de briller auprès de quatre ou cinq obscurs quidams, ne fait plus, depuis longtemps, partie de mes priorités. Je vois désormais les choses avec un certain recul philosophique, et les viscères durablement pacifiées.

 

Cela rend d’autant plus intéressantes certaines « trouvailles » opérées au gré du hasard de lectures diverses. C’est ainsi que, ayant rouvert le volume des Malices de Plick et Plock, de CHRISTOPHE, je suis tombé sur des images qui m’ont ramené aussitôt à HERGÉ. Le volume est beaucoup moins connu que Le Sapeur Camember ou Le Savant Cosinus.

 

Sauf que Plick et Plock, ça a été publié entre 1893 et 1904. Longtemps avant Le Temple du soleil (1949), 13ème épisode de la saga (si l’on fait abstraction de l’assez mauvais épisode soviétique, soi-disant le premier, mais pour moi, ça vaut autant que la 1ère dent de lait tombée de la gencive de la 1èresouris, même si ça n'empêche pas l'édition princeps d'être cotée 35.000 euros, ils sont fous ces Romains).

 

Alors bon, quelque adepte contemporain de l’Eglise de l’Ou.Li.Po. (« Ouvroir de Littérature Potentielle ») plaidera je ne sais quel « plagiat par anticipation » (ils auraient tout aussi bien pu dire « précurseur postérieur » pour désigner le plagiaire), et dira que c’est GEORGES COLOMB (alias CHRISTOPHE) le coupable, et qu’il a piqué l’idée à HERGÉ (né en 1907) en reniflant sa boule de cristal.

 

Je vous explique. Dans Le Temple du soleil, Tintin, Milou, Haddock et Zorrino gagnent le dit temple en traversant les Andes. Sur tout leur parcours, de méchants Indiens tentent de les empêcher d’arriver. Parvenus aux neiges éternelles, ils subissent une avalanche déclenchée par l’éternuement d’Haddock. Pour le ressusciter, Tintin ouvre la bouteille de whisky, qu’Haddock, aussitôt réveillé, avale cul-sec.

Et c’est en poursuivant les lamas (rappelez-vous : « Quand lama fâché, senor, lui toujours faire ainsi. ») qu’il tombe (littéralement) sur les méchants, en se transformant en énorme boule de neige, qui les précipite du haut d’une falaise, alors que sa boule à lui se fracasse sur un rocher. Il l’a échappée belle.

Or on trouve, dans Plick et Plock, la même idée, pas au millimètre près, mais pas loin. Là, c’est Plick qui joue le rôle de la boule de neige, et c’est un « arbre providentiel » qui joue le rôle du rocher, Plock se contentant de jouer le rôle du whisky, puisque c’est lui qui pousse Plick dans la pente neigeuse. Même accident, même pied qui dépasse. Il n’y a pas à s’y tromper : HERGÉ a lu CHRISTOPHE. Mieux : il s’en est souvenu.  

That’s all, folks ! Juste le temps d’ajouter qu’ANDRÉ FRANQUIN s’est lui aussi souvenu de CHRISTOPHE dans une histoire de son Gaston Lagaffe. Gaston, qui a inventé un moyen révolutionnaire de se débarrasser du sapin de Noël sans semer des aiguilles partout (grâce à je ne sais plus quelle colle miraculeuse), se retrouve entièrement couvert des dites aiguilles. Et que c’est au hasard d’une corde pincée de son inénarrable gaffophone qu’il s’en trouve en un instant nettoyé (« Pff ! Gaston s’en sort toujours », lance-t-il à Fantasio ou Lebrac, je ne sais plus).

 

 

Eh bien on trouve un peu la même idée dans Plick et Plock : nos deux gnomes qui n'arrêtent pas de faire des bêtises sont aux prises avec l'électricité statique. L'un reste collé au mur, l'autre se voit recouvert des poils d'un caniche qui vient d'être tondu. Mlles Zig et Zag (souvenir des Voyages en zig-zag du grand RODOLPHE TÖPFFER ?) ne sont pas tombées de la dernière pluie, et d'un bout d'aiguille débarrassent illico les deux garnements. 

 

Longue vie à Tintin (bien qu’il manque carrément d'humour), longue vie à Gaston (parce qu’il est le bienheureux désordre dans une machine trop bien huilée). 

 

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 14 novembre 2012

DES MONUMORTS HUMAINS

Pensée du jour :

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"RUPESTRE" N°20

 

(lettre à ANDRÉ R., le lendemain de l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, où sont mortes plusieurs grosses pointures féminines de la toute haute société parisienne) : « J'espère, mon cher André, ne pas vous scandaliser en vous disant qu'à la lecture des premières nouvelles de cet événement épouvantable, j'ai eu la sensation nette et délicieuse d'un poids immense dont on aurait délivré mon coeur. Le petit nombre des victimes, il est vrai, limitait ma joie. Enfin, me disais-je tout de même, enfin ! ENFIN ! voilà donc un commencement de justice ».

 

LÉON BLOY

 

 

Résumé : je termine aujourd'hui, à l'occasion du 94ème anniversaire de la fin de la grande catastrophe de 14-18, dont l'Europe n'est pas près d'avoir fini de payer les intérêts, une petite évocation de ces constructions entreprises en 1920 dans les 36.000 communes de France, en l'honneur de leurs 1.700.000 morts.

 

 

Tout en persistant à penser que qualifier ces morts de « héros » est aussi absurde que la guerre qui les a engloutis. Il suffit, pour se rendre compte que c'est une Histoire sans héros (titre d'une BD de DANY), de lire DORGELÈS (Les Croix de bois), BARBUSSE (Le Feu), REMARQUE (A l'Ouest rien de nouveau), JÜNGER (Orages d'acier), augmentés de quelques Français et de quelques Allemands.

 

 

 

En tout cas, faire du 11 novembre une cérémonie militaire, c'est, de la part de la nation, un extraordinaire abandon de souveraineté : l'armée est au service de la nation, et non l'inverse. C'est faire preuve d'un aveuglement presque aussi coupable que, par exemple, le crime commis par le colonel DIDIER, le 8 octobre 1914, sur la personne de JEAN-JULIEN CHAPELANT, qu'il a fait fusiller ligoté à son brancard dressé debout contre un pommier, parce qu'il a eu la mauvaise idée d'échapper, grièvement blessé, aux Allemands.

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LE CHEF MITRAILLEUR CHAPELANT 

 

Le colonel DIDIER l'a fait exécuter pour l'exemple, tenez-vous bien, pour « capitulation en rase campagne ». Il ne faudrait pas confondre la nation avec sa composante armée, surtout depuis qu'elle n'est plus faite de conscrits, mais de professionnels. Qui jugera le colonel DIDIER ? JEAN-JULIEN CHAPELANT s'est montré certainement plus "héroïque" que ce salopard galonné. Qui a intérêt à réduire la nation à l'armée chargée de la défendre ?

 

 

 

J'en reviens aux monuments. Je montre en couverture d’un des albums ci-contre la photo de celui de Pléhédel (22). Cette femme couverte d’un ample capuchon n’a peut-être l’air de rien, mais elle tend le poing d’une façon qui a quelque chose à voir avec le célèbre geste ganté de noir de TOMMIE SMITH et JOHN CARLOS sur le podium du 200 mètres aux Jeux Olympiques de 1968. photographie,littérature,léon bloy,bazar de la charité,europe,france,monument aux morts,première guerre mondiale,guerre 14-18,roland dorgelès,les croix de bois,henri barbusse,le feu,erich maria remarque,à l'ouest rien de nouveau,ernst jünger,orages d'acier,français,allemands,11 novembre,armée française,pléhédel,tommie smith,john carlos,jeux olympiques 1968,picarde maudissant la guerre,paul auban,rené quillivic,bretagne,plouhinec,plozévet,carhaix,fouesnant,pirre fresnay,la grande illusion,boïeldieu,éric von stroheim,aristide maillol,ernest gabard,bande dessinée,dany,histoire sans héros

 

 

 

 

PLEHEDEL 22290.jpg 

 

PLEHEDEL 22

 

En Bretagne, RENÉ QUILLIVIC, né à Plouhinec, privilégia dans les monuments qu’on lui commanda, la figuration du deuil, en montrant un père (Plozévet), une mère (Carhaix), la sienne propre (Plouhinec, ci-dessous), une sœur (Bannalec), tous inconsolables de la perte subie. On lui doit également Fouesnant, Plouyé, Pont-Croix, Saint Pol de Léon, Loudéac, …

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RENÉ QUILLIVIC POUR PLOUHINEC 29

(sa propre mère, la tête inclinée vers - regardez la plaque - combien de noms d'une ville qui comptera environ 4.400 habitants en 1990 ?)

 

J’ai plus de mal à comprendre le choix de certaines communes ou paroisses (rares, heureusement, j’en ai collecté 9 !), dont le choix s’est porté sur un modèle (dont je n’ai pas identifié les promoteurs) qui fait du poilu un jeune homme du beau monde, les jambes noblement croisées, élégamment accoudé à la plaque portant les noms des morts. C’est sûr que celui-ci, comme Boïeldieu (PIERRE FRESNAY) dans La Grande illusion, devait blanchir ses gants avant de se lancer à l’assaut hors de la tranchée (rappelez-vous ce que dit ERIC VON STROHEIM à PIERRE FRESNAY en gants blancs, qui fait semblant de s'évader pour permettre à GABIN de le faire vraiment : « Che fais tirer, Boeldieu ! »). Et ce n’est pas l’ange qui le couronne de lauriers qui est fait pour arranger les choses.

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BEYRIES 40

 

Pour finir sur ce sujet (avant la prochaine fois), il faut quand même parler des quelques grands artistes, comme ARISTIDE MAILLOL, qui eurent parfois l’élégance de travailler gratuitement. MAILLOL poussa cette élégance jusqu'au raffinement généreux, en réalisant gracieusement, dans et pour sa région de naissance, les monuments de Céret, Elne, Port-Vendres et Banyuls.

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OEUVRE D'ARISTIDE MAILLIOL POUR CÉRET 66

 

 Et j’ai rendu hommage, en un autre temps, à ERNEST GABARD, plus récemment à DINTRAT (Montfaucon, 43). Ceux-là ne travaillèrent pas à la chaîne, et ce que nous voyons de leur travail reste – qu’on me passe cette confidence, si c’en est une – émouvant.

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OEUVRE D'ERNEST GABARD POUR JURANÇON 64

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 02 novembre 2012

LA MALADIE DE LA CURIOSITE (fin)

Pensée du jour : « L'amour-propre ne le reste jamais longtemps ».

 

MARTIN VEYRON 

 

 

 

 

Le dernier point qui me semble important, et peut-être celui que je trouve le plus grave pour l’idée que nous nous faisions (j’insiste sur l’imparfait) de la démocratie, c’est que, parmi les sciences humaines, il y en a deux qui se sont retournées contre l’homme comme des boomerangs. Ce sont la psychologie et la sociologie.

 

 

 

Dit autrement : l’étude du secret des motivations humaines (« psychologie ») et les statistiques (« sociologie quantitative ») destinées à quantifier les comportements des masses, qu'elles traduisent sous forme de moyennes. Or, dès qu'on vous parle de moyenne, dites-vous qu'on ne parle plus de vous comme individu, mais comme une simple quantité prise dans une quantité plus grande. 

 

 

Les statistiques ne veulent pas des individus : elles veulent des nombres, des taux, des moyennes, des virgules, des pourcentages. Ce sont des outils de GESTION. C'est de la comptabilité appliquée à la vie collective (sociale, politique, économique, sexuelle). C'est sûr : l'individu est ENCADRÉ. Quel moyen pour lui, dans un tel monde, de ne pas être comptabilisé dans une case du questionnaire ? D'échapper à la statistique ? De ne pas être jaugé par rapport à une moyenne ?

 

 

 

Aujourd'hui, les mouvements de la société sont réglés, gérés et gouvernés par la quantité. Sans l'action bien coordonnée d'une multiplicité d'acteurs, pas de réorientation du corps social : pas de loi punissant le négationnisme de l'extermination des juifs et des tsiganes (les tsiganes, dont on oublie trop souvent les 500.000 morts sous le règne des nazis, mais c'est que les tsiganes ne forment pas un groupe de pression crédible) ; pas de mariage homosexuel ; pas de délit d'incitation à la haine raciale. Pas de punissoir légal généralisé contre la liberté d'expression.

 

 

 

D’un côté, par la psychologie, on extrait ce qu’il y a dans l'âme de l’individu (enquête d’opinion, sondage, enquête de motivation, que pensez-vous de … ?). De l’autre, par la statistique et la toute-puissante moyenne, on étudie ce qu’on peut tirer des foules (vous êtes 35 % à apporter votre soutien de FRANÇOIS HOLLANDE, vous êtes pris dans 600 kilomètres de bouchons, vous êtes 63 % à être favorables au mariage homosexuel, …, sous-entendu, c'est normal, soyez sans inquiétude, on s'occupe de tout, l'ordre statistique règne).

 

 

D’une part, vous avez l’individu réduit à une infime parcelle de lui-même (une seule motivation). D’autre part, vous avez l’individu perdu dans la foule, c’est-à-dire réduit au millionième qu’il représente en quantité dans la masse des gens. Quel tableau ! De l’infiniment petit de soi-même pris dans la foule, à l’infiniment petit de soi-même ratatiné dans une de ses parcelles infimes, l’époque actuelle fait comme les Jivaros : elle réduit les têtes. Que vous preniez la sexualité, les yaourts, les opinions politiques, vous aboutissez à cela : l’individu quantitatif réduit à un « combien » virgule « quelque chose ». Noyé dans la masse.

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En dehors de venir en aide aux victimes d’accident, de catastrophe ou d’attentat (vous savez : « Une cellule psychologique d'urgence a été mise en place »), à quoi sert en effet la psychologie, de nos jours ? Je vais vous le dire : à sans cesse améliorer le fonctionnement de la machine sociale. Le psychologue veille à apaiser les dissonances qu’entraîne forcément la brutalité des conditions faites à la vie des individus par le système qui est le nôtre (résumé dans l'usage tous azimuts du mot à tout faire mis à toutes les sauces : « Stress ; stressant ; stressé ; se déstresser »).

 

A fournir aux individus plus ou moins écrasés des arguments de satisfaction pour compenser les frustrations constantes que le système leur fait subir, pour éviter qu'ils n'explosent. En somme, à les réinsérer dans les circuits sociaux (travail, sentiments, amour, famille : regardez dans les librairies la taille du rayon "développement personnel"). A essayer de les convaincre que, oui, ce qu'ils vivent, ce qu'ils font, tout ça a décidément un sens. Et qu'ils ont raison de continuer. Exaltant et pathétique. Le mot d'ordre du psychologue, c'est, une fois pour toute : « Désamorcer la révolte. Prévenir tout risque de subversion ou de révolution ». Une armée au service de l'ordre. Une armée de service d'ordre.

 

La « science » psychologique n'est plus seulement un instrument de connaissance. Elle est devenue un indispensable lubrifiant pour que les rouages sociaux tournent sans se « gripper ». La psychologie est désormais une excellente MACHINE A ADAPTER. Autrement dit un instrument de contrôle social.

 

 

Et cette société, qui ne cesse de se subvertir elle-même, est une machine à fabriquer du psychologue comme on fait de la saucisse. De même que l’obsolescence programmée des voitures sert à faire vivre les garagistes, le « mal-être » des individus sert de garde-manger et de vouloir-vivre aux psychologues (il m'arrive de m'étonner de certaines de mes propres phrases ; c'est d'ailleurs un peu pour ça que j'écris).

 

 

 

Accessoirement, on pourrait ajouter que la psychologie s’est révélée un redoutable instrument pour débusquer les motivations secrètes des gens pour les retourner en autant d’arguments de vente de marchandises. On appelle ça la publicité. La propagande, si vous voulez. Le bourrage de crâne. La manipulation mentale. Enfin, pas mal de choses.

 

 

Mais pendant que la psychologie remet l’individu dans le circuit normal, la sociologie ne reste pas inactive. Sans exagérer outre-mesure (je ne voudrais pas « exagérer d'exagérer »), il me semble qu’on peut considérer la sociologie comme un excellent instrument de gouvernement.

 

 

C’est bien la fondation « Terra Nova », que je sache, affiliée au Parti « Socialiste », qui a suggéré à ce dernier de s’appuyer, non plus sur la classe ouvrière, mais sur les « classes moyennes » (autrement dit les petits bourgeois). Pour arriver à cette suggestion, sur quoi s'est-elle appuyée, sinon sur un corpus d’analyses sociologiques, qui a permis au Parti « Socialiste » de prendre en douceur un joli virage idéologique ?

 

 

Partant de là, on peut affirmer que la sociologie est devenue une MACHINE A GOUVERNER. Car qu’est-ce qu’un politologue ? Un sondage ? Un sondage établi bien sûr selon la méthode des « quotas », sur un « échantillon représentatif » de la société française ? Des outils. Entre les mains d'un pouvoir.

 

 

Quand on lit, écoute ou regarde les informations, on finit par être frappé du nombre de données concernant la moindre vaguelette qui se dessine à la surface de la société. C'est fou, ce dont la société dispose pour enregistrer une foule d'informations sur elle-même, au moment même où chaque chose se passe. 

 

 

 

Pendant qu’une armée de psys en tous genres scrute les mouvements qui se produisent dans les profondeurs de l’âme des individus, une armée de sociologues dissèque en permanence le corps social pour en extraire les éléments signifiants dont les pouvoirs se serviront pour coller à l’évolution, voire pour l’anticiper, en vue de se pérenniser, principalement par le moyen de la propagande et des élections.

 

 

 

Oui, elles sont belles, les « sciences humaines » ! Plus leurs méthodes et leurs résultats se perfectionnent, plus le couvercle des pouvoirs se referme sur l'autonomie des individus (j'ai failli écrire "l'automnomie"). Et plus le système dans son ensemble devient aveugle. Plus les « sciences humaines » gagnent en raffinement et en subtilité dans les détails, plus l'humanité perd de l'acuité visuelle sur elle-même. Voilà où elle nous a menés, la belle curiosité ! Vous avez dit "paradoxal" ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 21 octobre 2012

PENSEE DU JOUR

LA PENSEE DU JOUR ?

LA VOICI : « ARF ! ARF ! »

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PEINTURE PARIETALE RETROUVEE DANS LA GROTTE "METRO CHÂTELET-DIRECTION CASSIOPEE" (bien connue des paléontologues CHRISTIN et MEZIERES).

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A ceux qui se demanderaient pourquoi la ci-dessus créature vaguement canine émet l'onomatopée telle qu'elle apparaît, et non sous la forme qu'elle revêt normalement sous nos climats, je veux dire en France, je veux dire : « Ouah ! Ouah ! », je répondrai qu'il faut en accuser les Grands-Bretons, plus généralement les Anglo-Saxons, et FRANK ZAPPA en particulier - qui n'a au reste rien de précisément Grand-Breton.

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On trouve en effet cette transcription d'un bruit dans le langage (c'est une définition), dans une chanson du disque Apostrophe ('). Plus précisément dans « Stink foot ». Pour ceux qui auraient besoin d'une traduction, le texte de la chanson parle d'une maladie pas tout à fait imaginaire nommée "bromidrose", connue pour le vif désagrément qu'elle procure à l'entourage du malade.

 

Et plus exactement à l'orifice olfactif du dit entourage. Pour faire bref, disons qu'on peut traduire "stink foot" par "pied qui pue". Et c'est la girl friend qui dit à son copain qu'il pourrait se laver les pieds. Tout ça sous le fallacieux prétexte qu'elle allègue : « Your stink foot puts a hurt on my nose». On ne saurait mieux dire : ton pied puant pose une blessure sur mon nez.

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SOLE, GOTLIB, DISTER, CELEBRANT LE PIED DE ZAPPA DANS FLUIDE GLACIAL

 

Notons que le chien de la chanson a ceci de particulier qu'il parle. Et non seulement qu'il parle, mais qu'il semble accéder sans difficulté aux sphères éthérées de la pensée abstraite : « (This is a dog talkin' now) What is your conceptual continuity. Well, I told him right then (Fido said) It should be easy to see The crux of the biscuit is the Apostrophe (') ».

 

Je dois dire que, si je ne suis guère convaincu par les tentatives de FRANK ZAPPA en matière de "grande musique" (tentatives marquées par AARON COPLAND ou CHARLES IVES), je vote sans réserve pour tout ce qu'il a produit avec les « Mothers of invention ». Et plus généralement dans le domaine de la pop-rock (Chunga's revenge, Over nite sensation, Zoot allures, Bongo fury, Sheik yerbouti, Joe's garage, j'arrête).

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BONGO FURY (A DROITE ? MAIS ENFIN, C'EST CAPTAIN BEEFHEART !)

 

J'étais même allé l'écouter un soir où il donnait son spectacle au Palais des Sports. Belle ambiance, musique tirée au cordeau (ZAPPA n'aime guère les imprécisions). La place était chère (j'ai oublié). D'autant plus chère qu'après l'heure (soixante minutes montre en main) de musique, le groupe se retire. Et pas question de revenir, quel que soit l'état de la salle. Sans tomber dans les dégoulinades interminables de fin de concert de JACQUES HIGELIN, j'avais modérément apprécié cet aspect "prestation professionnelle".  

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

mardi, 25 septembre 2012

MARIAGE HOMO, MENAGE EGO !

Pensée du jour : « Alors que l'économie du Nouveau Monde a tout d'abord entamé un processus d'amélioration progressive, elle a eu tendance, au cours de son expansion, à se transformer en un nivellement par le bas, jusqu'à atteindre un point mort de médiocrité et de banalité. Finalement, elle a cherché à effacer toutes les différences entre haut et bas, bon et mauvais, entre ce qui se développe et ce qui se dégrade, en niant même l'existence de valeurs, ou du moins d'en établir la hiérarchie ».

 

LEWIS MUMFORD

 

 

 

Nous parlions de deux normes concurrentes.

 

Soit dit en passant, je doute fort que deux normes concurrentes puissent coexister : il y a LA norme (sociale, statistique, sexuelle, ...), un point, c'est tout. Que certains aient du mal à l'admettre, peut-être. Mais priver un groupe humain de toute norme revient à imiter Cléopâtre (celle d'Astérix) plongeant des perles dans le vinaigre (sa boisson préférée) d'une coupe qu'elle passe à son goûteur (« Pouah ! J'ai horreur du vinaigre trop perlé », dit celui-ci). Les perles se dissolvent.

 

 

Ensuite, que certains aient du mal à intérioriser cette norme, et qu'ils se sentent exclus de ce fait, c'est forcément possible. Cela montre au moins qu'une société humaine n'est pas une société de numéros exclusivement assignés à une fonction. La norme étant le cadre, on espère qu'à l'intérieur de ce cadre normatif, on puisse laisser flotter les rubans et laisser respirer l'animal.

 

 

 

Que des individus échappent à la normalisation inhérente à toute vie en collectivité et à toute société, je trouve ça plutôt rassurant. Il serait même fort inquiétant que quiconque soit normal à 100 %. Pour moi, normal à 100 %, c'est un robot. Ou JEAN-LOUIS TRINTIGNANT dans Le Conformiste (BERNARDO BERTOLUCCI, 1970). 

 

 

 

Et qu'il y ait du particulier, du local, de l'arbitraire, du coutumier et du contingent dans la norme, (comme le hurlent les « déconstructeurs »), c'est absolument certain : c'est même pour ça qu'elle est faite, la norme ! Séparer le normal de l'anormal. Impossible de faire autrement !

 

 

La fonction de la norme, en dehors de son aspect statistique (mesurer des moyennes), est exactement de faire le départ entre un « soi » et un « non-soi ». La norme n'a pas seulement à voir avec une loi morale, l'intolérance, des obligations. Elle a aussi à voir avec quelque chose de nature identitaire. Mais je reviendrai une autre fois sur ce mot de norme qui fait peur, et qui me semble indispensable et structurant. Indispensable parce que structurant.

 

 

Dire qu'il pourrait y avoir deux normes ? Autant dire qu'il n'y en aurait plus du tout. Peut-être, après tout, est-ce l'objectif inavoué ? L'abolition des critères ? Le nivellement (voir "pensée du jour") ? Après, ça ne dit rien des attitudes et comportements que la majorité doit adopter à l'égard de ceux qui ne sont pas dans la norme (par choix ou par nécessité, je pense aux handicapés, par exemple).

 

 

C’est ainsi qu’on discerne finalement, dans cette catégorie d'homosexuels, deux réclamations contradictoires : afficher un label « non-conforme », tout en réclamant comme un droit une estampille de « conformité ». C'est le non-conformiste qui exigerait d'être considéré comme conforme. Bizarre façon de tordre le sens des mots.  Une façon de manger en même temps à deux râteliers opposites. Cela sent le sophisme pur et simple. Il faudrait clarifier. Ce n'est pas net. Au minimum, c'est de l'intimidation, façon hooligan du PSG.

 

 

Ça ne vous paraît pas bizarre ? La logique de cet homosexuel est d'ordre (qu'on me pardonne le mot) oxymorique : on ne peut guère, théoriquement, désirer à la fois quelque chose et son contraire. Ou alors c'est le signe d'une légère ambivalence. Peut-être pire. Une aberration notionnelle ? Une perversion intellectuelle ? Un dévoiement moral ? Un cheval de course ? Un raton laveur ?

 

 

C'est ainsi que, après avoir campé la silhouette de « Barbe-Noire », l'homosexuel individualiste, non-conformiste et ostensiblement hors de toute institution, nous voyons se dessiner l'autre silhouette homosexuelle. Tout le monde connaît bien maintenant le couple Bidochon, imaginé par CHRISTIAN BINET.

 

 

Eh bien, la figure qui me semble correspondre le mieux à cet homosexuel-là, qui veut gagner sur tous les tableaux, pourrait se résumer dans une formule oxymorique du genre : le BIDOCHON CONQUISTADOR. Alexandre le Grand part à la conquête du monde, mais sans oublier ses pantoufles, et la petite laine que bobonne lui a tricotée pendant qu'il courait les routes, en prévision des soirées fraîches sous la tente.

BIDOCHON 4.jpg 

Ben si, réfléchissez. D’un côté, le fier colonisateur de territoires occupés par des populations (et administrés selon des principes) dont il nie la légitimité, et qu’il va chasser de leur trône, il en est sûr, il a le vent en poupe.

 

 

D’un autre côté, le couple façon Bonne soirée, avec charentaises et feu dans la cheminée, qui ne rêve que popote, ragoût de mouton préparé par Germaine, routine dans la chaleur des jours qui se suivent, enfants qui courent dans le jardinet. La duplicité de l'image a quelque chose de pathétique. Quel horizon, ma parole !

 

 

Vu la tournure des évolutions récentes, et vu le caractère résolument « en dehors » de l’homosexuel antédiluvien (Barbe-Noire), il me semble que le plus bel avenir est promis au « Bidochon conquistador », façon PIERRE BERGÉ (le financier de la revue Têtu qui, après une amère déception avec BERNARD BUFFET, trouva le repos de l'âme et la stabilité conjugale (sans épousailles) auprès de YVES SAINT-LAURENT, ils furent heureux et eurent beaucoup de duplicata). J'espère que cette idée éclaircit le titre de cette note.

 

 

Bienvenue au Bidochon Conquistador de la cause homosexuelle ! Flamberge au vent. Et bon vent (amical, dans le fond), pour finir, aux homosexuels « normaux » (là, je suis quand même obligé de mettre les guillemets) : laissons-les vivre !

 

 

Et réciproquement, s'il vous plaît !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

FIN

 

lundi, 10 septembre 2012

L'ART D'AGATHE DAVID (PREAMBULE)

Pensée du jour : « Achras : Ô mais, c'est qué - y a point d'idée du tout de s'installer comme ça chez les gens. C'est une imposture manifeste ...

M. Ubu : Une posture magnifique ! Parfaitement, monsieur : vous avez dit vrai une fois dans votre vie ».

 

ALFRED JARRY

 

 

Je signalais, il y a quelques jours en bas de page, l'exposition AGATHE DAVID qui a lieu depuis jeudi à la Galerie Gilbert Riou (1, place d'Ainay, mais l'entrée est située rue Vaubecour).

 

GALERIE GILBERT RIOU.jpg 

 

AGATHE DAVID est une artiste. Comme je les aime. Car, contrairement à tous les « artistes » figurant dans mon album « art con et temporain » (ci-contre, n’hésitez pas à découvrir 80 façons de tuer l'art, à m’engueuler, voire à mépriser le néandertalien que je suis éventuellement), AGATHE DAVID ne désespère pas de la création artistique. Cette rareté attire forcément l'attention et la curiosité.

 

 

 

C’est vrai, aujourd’hui, la plupart des « artistes » ont emboîté le pas à MARCEL DUCHAMP. S'il n'est pas en personne le meurtrier, il en est l’emblème et le héraut. Le porte-parole et le messager. Le ready made (ci-contre, la "roue de bicyclette") agathe david,art,dessin,exposition,galerie gilbert riou,lyon,art contemporain,marcel duchamp,andy warhol,jeff koons,cicciolina,ready made,une charogne,baudelaire,georges brassens,campbell soup,zombie,mort-vivant,pierre tombal,hardy et cauvina mis le point final au parcours millénaire de l’Art. Or le ready made, c'est l'appel de trompette après lequel il n’y a plus qu’à déclarer : « L’ART est mort ! Il est temps de vous repentir ! ». Pour la suite, voir l'Apocalypse de Jean.

 

 

Mais celui qui souffle dans la trompette (et la cohorte de ceux qui le suivent), en même temps qu'il sonne "Aux Morts", comme un 11 novembre ordinaire, ouvre un extraordinaire marché à toutes sortes d’hommes d’affaires. Certains protestent en vociférant : « TOUT EST ART ». Mais je rétorque : « Et alors ? Quelle différence ? ». Et toc ! C'est vrai, ça : si la réalité, la nature, nos objets sont de l'art, où il se trouve, l'art artistique ? Si vraiment tout est art, ça signifie juste que plus rien n'est art.

 

 

« Art con et temporain », donc : en plaçant JEFF KOONS à la porte d'entrée de l’album ainsi intitulé, en train de saillir (il n'y a pas d'autre mot, n'est-ce pas ?) sa femme, l’actrice porno CICCIOLINA, c'est une modalité de la mort de l'ART que je voulais illustrer. 

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On constate  pourtant, éberlué, que le cadavre de l'ART a revêtu, depuis les « audaces » de DUCHAMP (1913 et après, avec l'invention du READY MADE, qu'il soit "aidé" ou non : PORTE BOUTEILLES 2.jpgporte-bouteilles, "fontaine", stoppage-étalon, ... On en fête bientôt le centenaire, préparez-vous, il est temps de vous repentir), une infinité de cadavres bien vivants, dont l’énumération gonflerait inutilement cette modeste note.

 

 

Il n’y a pas besoin d'un couple forniquant pour confirmer l’obscénité essentielle, pour ne pas dire la pornographie d’une bonne part de ce qu’il est convenu d’appeler « art » contemporain. Disons que cette copulation symbolise assez bien une des grandes tendances de l' « art » contemporain : j'ai nommé le FOUTAGE DE GUEULE. DUCHAMP 20 FONTAINE 2.jpg

 

 

Il est peut-être bon de rappeler que JEFF KOONS a commencé comme « courtier en matières premières » à Wall Street, et que s’il a changé d’orientation « professionnelle », s’il s’est lancé dans l’art, c’est, je le cite : « en tant que vecteur privilégié de mechandising ». On n’est pas plus « honnête ». Il ne s’agit de rien d’autre que de « glorifier des produits de consommation ». Comme son prédécesseur et mentor ANDY WARHOL.

 

 

 

Disons le fond des choses : l’artiste con et temporain n'est en général qu'un pervers nécrophile, qu'une  chair nécrosée congénitale. Il prospère sur le cadavre de l’Art, comme l’insecte nécrophage sur la dépouille animale gisant au bord du chemin :

 

« Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

 

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons ».

 

CHARLES B. (je vous laisse deviner)

 

Après la mort de l’ART, donc, voici l’ « art-mort ». Debout les morts, entendait-on dans les tranchées de 1914. Eh bien qu'on se rassure : c'est chose faite ! Et qu'on se le dise, le cadavre se porte comme un charme :

 

« On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

Vivait en se multipliant ».

 

 

Si GEORGES BRASSENS pouvait parler, il dirait : « On s’aperçut que le mort avait fait des petits ».  Car après le second coup de grâce dans la nuque de l'ART, porté par ANDY WARHOL, le cadavre se met à vivre sa vie, pleinement, joyeusement et « artistement » : « J’ai commencé comme artiste commercial, je veux finir comme artiste d’affaires » (WARHOL).WARHOL 7.jpg

 

 

DUCHAMP ayant rédigé l’acte de décès à coups de « ready mades », WARHOL pouvait introduire la dépouille mortelle de l’Art dans l’univers de la marchandise et de la publicité, et le marchand d’ « art-mort » commercialiser ses charognes « pleines d’exhalaisons ». Car je pense qu'on sera d'accord : il n'y a rien de plus mort qu'une marchandise. Pire : une marchandise érigée en être vivant.

 

 

Si vous n’avez jamais vu un cimetière en effervescence, prenez un billet pour Le Caire, où beaucoup de drôles de silhouettes, de jour comme de nuit, errent entre les tombes. Elles ont investi les caveaux et les pierres tombales. Les gens normaux s'interrogent. Les cimetières du Caire connaissent une belle animation, même si elle est encore honteusement minimisée par les tour opérateurs. Vous verrez qu’il n’y a pas plus vivant qu’un cimetière.

 

 

 

L’art contemporain, c’est pareil : un univers de ZOMBIES, de morts-vivants, qui s’activent, s’affairent, font des affaires, essaient de « percer ».agathe david,art,dessin,exposition,galerie gilbert riou,lyon,art contemporain,marcel duchamp,andy warhol,jeff koons,cicciolina,pornographie,ready made,une charogne,baudelaire,georges brassens,campbell soup,zombie,mort-vivant,pierre tombal,hardy et cauvin Une seule solution : l'évacuation. Tirez la chasse. S'il n'est pas trop tard.

 

 

A la rigueur, reportez-vous à Trou dans la couche d’os jaunes, dans PIERRE TOMBAL 4.jpgla série « Pierre Tombal », de HARDY & CAUVIN, éd. Dupuis.

 

 

 

L'art con et temporain est plus mort-vivant que jamais.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre, AGATHE DAVID.